page suivante »
324 aucun Latin ne fut plus digne que lui d'être le fils, à laquelle il avait déjà tant emprunté dans ses deux premiers ouvrages, lui fournit des secours encore plus considérables pour la composition de son dernier chef-d'œuvre. Qui peut pro- noncer le nom de l'Enéide sans voir aussitôt se dresser de- vant lui, l'ombre du vieil Homère, redemandant les dé- pouilles qui lui ont été ravies? En chantant l'arrivée d'un héros troyen sur les côtes de l'Italie, en faisant sortir l'épo- pée romaine de l'épopée hellénique, Virgile n'a-t-il pas reconnu que, comme sa patrie se rattachait aux traditions de la Grèce, lui-môme n'était que leur imitateur et leur écho? 11 me semble que le sentiment original et profond qui avait soutenu l'auteur des Bucoliques et des Géorgiques ne l'a- bandonna point dans l'enfantement de l'Enéide; c'est lui, ce sont les grandes idées de la politique de Rome et d'Auguste, qui, en s'alliant, ont permis à Virgile de dépasser le cercle de la poésie grecque et d'en égaler souvent les immortelles beautés. Le Tasse, qui était aussi grand philosophe que grand poète, a dit que comme l'activité humaine se déploie dans l'étude du vrai et dans la pratique du bien, il doit nécessaire- ment y avoir deux sortes tout-à -fait distinctes d'épopée, l'une de contemplation, l'autre d'action, la première faisant passer devant ses personnages le tableau des choses divines ou humaines, la seconde les précipitant eux-mêmes au milieu de la mêlée des événements. L'Odyssée appartient au premier genre, l'Iliade au second. Virgile se proposa de fondre ces deux formes en une seule; en effet, les six pre- miers livres de l'Enéide sont composés à l'imitation de l'O- dyssée; les six derniers à celle de l'Iliade. Cette division, qui est fondamentale, nous servira, peut-être, à éclairer le parallèle, si longtemps débattu, d'Homère et de Virgile. Si grand qu'on veuille faire l'intervalle de temps, qui se-