Hommes de pierre
Portraits de quelques minéralogistes ayant enseigné au Muséum d'Histoire naturelle
Le fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon est riche, si l'on considère la seule période allant du XVIe au XVIIIe siècle, de 10 000 ouvrages scientifiques couvrant toutes les disciplines : mathématiques, sciences physiques, histoire naturelle, sciences humaines. A cela s'ajoutent de très nombreux livres datant du XIXe siècle. Cette collection, par ailleurs soigneusement cataloguée et informatisée, offre donc au chercheur en histoire des sciences un matériel d'investigation de premier choix, notamment ce qu'il est convenu d'appeler des sources primaires.
Portrait de Daubenton (1716-1800), dans Le Muséum d'histoire naturelle, par Paul-Antoine Cap Paris, Curmer, 1854, 1ère partie, p.25 (BM Lyon, Rés. 104654).Nous avons eu la possibilité de l'exploiter, dans le cadre d'une étude que nous poursuivons actuellement sur l'histoire de la minéralogie au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris. Des ouvrages généraux, des manuels, des traités et des biographies ont été consultés, à la fois sur le plan textuel et au niveau iconographique. Ils nous ont aidés à retracer, selon une chronologie rigoureuse, l'oeuvre des professeurs titulaires de la chaire de Minéralogie du Muséum. Nous nous proposons de résumer ici les résultats obtenus, en privilégiant les aspects scientifiques et bibliographiques par rapport aux données biographiques : le lecteur désireux d'obtenir plus de détails sur la vie des personnages cités pourra consulter les ouvrages ou dictionnaires spécialisés [note] Voir à ce sujet : F. Hoefer, Nouvelle Biographie universelle (BM Lyon, 920 NOU T. 01 à 46) ; L.G. Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne (BM Lyon, FA DIC 09 A, B 23 vol.) ; C. Gillispie, éd., Dictionary of scientific biography, (BM Lyon, 034 DIC Vol. 1 à 18) ; Philippe Jaussaud et E.R. Brygoo, Du Jardin au Muséum en 514 biographies, Paris, Muséum national d'Histoire naturelle, 2004..
Créé en 1793 par décret de la Convention, le Muséum assurait de fait la pérennité - au prix d'un changement statutaire - du Jardin royal des plantes médicinales de l'Ancien Régime. Le texte fondateur dotait le nouvel établissement de douze chaires magistrales, dont une de Minéralogie et une de Géologie. Celles-ci, à la différence de toutes les autres, traversèrent les siècles sans jamais être transformées, dédoublées, supprimées ou rebaptisées... jusqu'en 1985. A cette date, toutes les chaires du Muséum disparurent administrativement. Elles furent remplacées, dans le cadre de la dernière réforme statutaire de l'établissement, par des départements, dont l'un se trouva dévolu à l'Histoire de la Terre.
Portrait de Haüy (1745-1822), dans Le Muséum d'histoire naturelle, par Paul-Antoine Cap , Paris, Curmer, 1854, 1ère partie, p. 71 (BM Lyon, rés. 104654)Il faut remarquer en préambule que les sciences de la Terre étaient déjà cultivées au Jardin royal, comme en témoignent par exemple les travaux de Buffon. Celui-ci publia au début de son Histoire naturelle une Histoire et théorie de la Terre (1749) et rédigea avec beaucoup de soins à la fin de sa vie une Histoire naturelle des minéraux (1783-1788). Par ailleurs, Daubenton rassembla au Cabinet du roi, dont son puissant protecteur, Buffon justement, lui avait confié la charge, les premiers spécimens d'une collection de minéraux. Celle-ci s'enrichit et s'ordonna rapidement, grâce aux soins du savant qui classait les « pierres » avec minutie. La chaire de Minéralogie du Muséum perpétuait donc, tout en l'institutionnalisant, une solide tradition scientifique héritée de l'Ancien Régime.
Le Nestor de l'histoire naturelle
Dix professeurs occupèrent successivement la chaire qui nous intéresse : Louis Daubenton (de 1793 à 1800), Déodat de Dolomieu (de 1800 à 1801), René-Just Haüy (de 1802 à 1822), Alexandre Brongniart (de 1822 à 1847), Armand Dufrénoy (de 1847 à 1857), Gabriel Delafosse (de 1857 à 1876), Alfred Legrand Des Cloizeaux (de 1876 à 1892), Alfred Lacroix (de 1893 à 1936), Jean Orcel (de 1937 à 1967) [note] Jean Orcel a consacré à l'histoire de la minéralogie plusieurs articles ou articles comme « Les Sciences minéralogiques au XIXe siècle... », conférence donnée au Palais de la Découverte le 10 novembre 1963, Université de Paris, Paris, 1963 (BM Lyon, B 491923). et Jacques Fabriès (de 1968 à 1985). Notre analyse se restreindra à la période s'étendant de 1793 à 1936, la seule concernée par l'exploitation des ouvrages anciens comme matériel d'étude.
Planche de minéraux, dans Déliciae naturae selectae, par Georg Wolfgang Knorr Nürnberg, 1754, pl. E1 (BM Lyon, rés 7023)Surnommé le « Nestor de l'histoire naturelle », Daubenton (1716-1800) s'intéressa à diverses disciplines : anatomie comparée, zoologie, minéralogie, zootechnie, médecine, physiologie végétale. Il rédigea les parties anatomiques de l'Histoire naturelle de Buffon, ainsi que la Description du Cabinet du roi placée au début du troisième tome de l'ouvrage. En minéralogie, Daubenton proposa des explications originales de la formation des stalactites, des albâtres, des marbres. Il publia un Tableau méthodique des minéraux, suivant leurs différentes natures, et avec des caractères distinctifs, apparents ou faciles à reconnaître (1782) qui servit à enseigner l'histoire naturelle dans les écoles centrales [note]J. Savaton, « De la minéralogie aux sciences de la Terre : la géologie dans l'enseignement secondaire de 1795 à 1988 », Rev. Hist. Sci., 2002, vol. 55. L'auteur expose l'utilisation scolaire, que nous ne faisons que mentionner ici, des traités de minéralogie de Daubenton, Haüy et Brongniart.. Au Muséum, Daubenton s'occupa jusqu'à son décès des collections minéralogiques. A quatre-vingts ans, la tête courbée sur la poitrine, les pieds et les mains déformés par la goutte, ne pouvant marcher que soutenu par deux personnes, il se faisait conduire chaque matin au Cabinet pour y présider à la disposition des minéraux, la seule partie qui lui fût restée dans la nouvelle organisation de l'établissement. [note]Paul Antoine Cap, Le Muséum d'histoire naturelle, Paris, Curmer, 1854, 1ère partie, Histoire, p. 73 (BM Lyon, 162920). Ce livre récompensa en 1856 le jeune Nestor Gréhant, lauréat du second prix d'histoire naturelle au concours général et futur professeur de physiologie au Muséum. Enfin, Daubenton dispensa au Jardin du roi et au Muséum des cours de minéralogie dont les qualités pédagogiques éveillèrent de nombreuses vocations, notamment celles d'Haüy et d'Alexandre Brongniart.
Déodat Guy de Dolomieu [note]Le minéralogiste naquit au château de Dolomieu, dans l'Isère, et mourut dans le village de Châteauneuf en Brionnais. (1750-1801) eut une vie aventureuse qui inspira sans doute à Choderlos de Laclos son Valmont et à Alexandre Dumas son abbé Faria : fils de marquis, chevalier de Malte, il tua l'un de ses coreligionnaires en duel, conquit de nombreux coeurs féminins dans les salons, effectua plusieurs voyages géologiques en Europe, quitta l'ordre des moines soldats après un long procès, partit avec Bonaparte en Egypte, fut capturé à son retour et incarcéré durant vingt et un mois dans les prisons du roi de Naples, recouvra sa liberté après la bataille de Marengo.
C'est dans un infect cachot de Messine que notre « savanturier » rédigea son principal ouvrage intitulé Sur la philosophie minéralogique et sur l'espèce minéralogique (1801). Dolomieu explique au début de l'ouvrage comment il écrivit : je suppléais aux plumes par des esquilles de bois que je façonnais avec un clou échappé à la recherche de mes geôliers ; je suppléais à l'encre par le noir de fumée que je recueillais sur ma lampe, à laquelle l'air méphitique que je respirais permettait à peine de brûler ; je suppléais au papier par les marges et les interlignes de quelques volumes qui, je ne sais pourquoi, étaient restés en ma possession. [note]Déodat de Dolomieu, Sur la philosophie minéralogique et sur l'espèce minéralogique, Bossange, Masson et Besson, Paris, 1801 (BM Lyon, SJ AF 016/60). Nous voici donc en présence de l'ingénieux abbé Faria du Comte de Monte-Cristo. Dans son livre, Dolomieu définit l'espèce minéralogique selon des critères à la fois physiques et chimiques, rejoignant les conceptions d'Haüy, sans oublier de prendre en compte les impuretés cristallines. Par ailleurs, le savant décrivit de nouveaux minéraux, comme le béryl ou un carbonate double de calcium et de magnésium (la « dolomie »), s'intéressa aux combustibles fossiles, à la nomenclature des roches et à la physique du globe (volcanisme, tremblements de terre, orogenèse [note]L'orogenèse ou orogénie étudie la formation des chaînes de montagnes.). Ce dernier domaine d'étude lui inspira plusieurs ouvrages : Voyages aux îles Lipari faits en 1781, ou Notice sur les îles Eoliennes pour servir à l'histoire des volcans (1783) ; Mémoire sur les tremblements de terre de la Calabre pendant l'année 1783 (1784) ; Mémoire sur les îles Ponces et catalogue raisonné des produits de l'Etna, pour servir à l'histoire des volcans, suivi de la Description de l'éruption de l'Etna, du mois de juillet 1787 (1788).
Dolomieu fut également l'un des pères de la géologie alpine, comme le rappelle le nom de « Dolomites » [note]Massif calcaire italien des Alpes orientales, situé entre l'Adige et la Piave. créé pour lui rendre hommage. Après sa mort, sa belle collection de minéraux se trouva répartie entre l'Ecole des mines et le Muséum.
Un abbé échappé à la Terreur
Le successeur de Dolomieu dans la chaire de Minéralogie du Muséum, l'abbé Haüy (1743-1822), avait assuré de 1800 à 1801 la suppléance de son infortuné collègue emprisonné à Messine. Lui-même incarcéré durant la Révolution, l'ecclésiastique n'avait échappé aux massacres de septembre que grâce à l'intervention énergique d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire [note]Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1782-1844), zoologiste brillant et précoce, enseignait à 21 ans l'étude des vertébrés au Muséum. Ami du vénérable Cuvier, il remplaça celui-ci lors de l'expédition d'Egypte au cours de laquelle il amassa une immense collection comprenant quelques variétés rares ou inconnues. La pugnacité du savant arriva à la sauver des mains des Anglais.. Il professa à l'Ecole des mines et fut l'un des deux fondateurs, Romé de l'Isle étant l'autre, d'une discipline essentielle à l'étude de la minéralogie : la cristallographie géométrique. En effet, après avoir laissé tomber accidentellement un prisme de spath, Haüy découvrit que les cristaux étaient des édifices constitués d'un empilement régulier de « molécules intégrantes », appelées aujourd'hui « mailles ». Il put alors énoncer les lois géométriques auxquelles obéissent les édifices cristallins, définir précisément la notion d'espèce minéralogique et publier un Traité de minéralogie (1801, 1822) qui inaugurait la phase moderne de la discipline.
Haüy fut qualifié par Georges Cuvier de « législateur de la minéralogie », car il nomma et classa un grand nombre de minéraux essentiels. De plus, le savant abbé découvrit le phénomène de piézo-électricité [note] Apparition de charges électriques à la surface de certains minéraux soumis à une contrainte comme le frottement ; ou, inversement ? variation des dimensions de cristaux subissant une tension électrique.. Il enrichit considérablement la collection de minéraux du Muséum, comme il l'avait fait à l'Ecole des mines. Outre son traité de minéralogie, qui fut utilisé en classe de mathématiques spéciales des collèges, Haüy publia un Traité élémentaire de physique (1806) (sur une commande de Bonaparte), un Tableau comparatif des résultats de la cristallographie et de l'analyse chimique relativement à la classification des minéraux (1809), un Traité des caractères physiques des pierres précieuses, pour servir à leur détermination, lorsqu'elles ont été taillées (1817) et un Traité de cristallographie (1822).
Le troisième professeur de Minéralogie au Muséum fut Alexandre Brongniart (1770-1847). Membre d'une célèbre dynastie de savants de l'établissement... lequel en compta quatre dans son corps professoral, formé à l'Ecole des mines et nommé directeur de la Manufacture de porcelaine de Sèvres en 1800, il avait suppléé son maître Haüy au Jardin des plantes de 1821 à 1822.
"Aiguemarine ou émeraude, et cristal de roche" dans Histoire naturelle : classée d'apèrs le système de Linné; par George-Louis-Leclerc Buffon Paris, Deterville, Crapelet Impr., vol 28, 1803, p. 32 (BM Lyon, rés 807711/29)Dans l'oeuvre de Brongniart, esprit brillant et éclectique, la minéralogie se trouve supplantée par la géologie : le naturaliste créa en effet, avec Georges Cuvier, la stratigraphie paléontologique grâce à des recherches conduites autour de Paris. Brongniart travailla également sur les Crustacés fossiles et sur la classification des Reptiles. Si l'on considère ses travaux purement minéralogiques, il faut mentionner la rédaction, à la demande de l'Université impériale, d'un Traité élémentaire de minéralogie avec des applications aux arts (1807), qui fut utilisé dans les écoles secondaires communales et les lycées nationaux. Le savant y reprenait les conceptions d'Haüy sur les cristaux, tout en insistant sur les conditions de gisement, les propriétés et les utilisations des minéraux. Lorsqu'il dut enseigner la minéralogie au Muséum, Brongniart publia une Introduction à la minéralogie (1824), puis une Classification et caractères minéralogiques des roches homogènes et hétérogènes (1827). Son dernier ouvrage fut un Traité des arts céramiques ou des poteries (1844).
Scruter la nature jusque dans ses replis les plus secrets
Alexandre Brongniart tenait à son domicile un brillant salon intellectuel, que fréquentait assidûment un jeune polytechnicien élève de l'Ecole des mines : Armand Dufrénoy (1792-1857). Celui-ci fit carrière dans le corps des mines, atteignant le grade d'inspecteur général avant de succéder à Brongniart (dont il avait assuré un temps la suppléance) au Muséum. Géologue et minéralogiste, Dufrénoy participa à l'exécution de la première carte géologique de la France avec André Brochant de Villiers. Il publia un grand Traité de minéralogie (1844-1847), où il recourait de façon équilibrée à la composition chimique et aux caractères cristallographiques pour identifier les espèces. On doit aussi à Dufrénoy le rachat au duc de Buckingham, pour le compte du Muséum, de la collection minéralogique personnelle d'Haüy.
Dans son ouvrage sur Le Musée d'histoire naturelle (1854), Paul Antoine Cap nous fournit une description enthousiaste de ce qu'était, à l'époque, la galerie de minéralogie du Jardin des plantes. Il incite le lecteur à la visiter : Entrez, regardez tout avec attention, scrutez la nature jusque dans ses replis les plus secrets [...]. La Minéralogie déploiera à vos yeux sa robe brodée de métaux précieux et de pierres éblouissantes reflétant toutes les couleurs du prisme et surpassant l'éclat des plus belles fleurs. Cap fournit également les horaires, ainsi que les sujets des leçons dispensées par Dufrénoy au cours de l'année 1854.
"La Galerie de Minérologique et de Géologie", gravure dans Le Muséum d'histoire naturelle, par Paul-Antoine Cap Paris, Curmer, 1854, 2ème partie, p. 207 (BM Lyon, Rés. 104654)Avant d'être nommé professeur titulaire de la chaire de Minéralogie, Delafosse (1796-1878) avait exercé au Muséum la fonction d'aide naturaliste auprès de ses trois prédécesseurs. Cet atomiste convaincu prolongea la cristallographie géométrique d'Haüy : il définit la notion de « réseau cristallin », distingua la « molécule intégrante » de la « molécule chimique » (élément constitutif ultime du cristal) et développa une cristallographie physique dont devaient découler les célèbres travaux de Pasteur sur la dissymétrie moléculaire. Delafosse établit également une classification rationnelle des espèces minéralogiques, fondée sur leur composition chimique, ainsi que sur leurs formes cristallines. Il aida Haüy à rédiger son Traité de cristallographie, écrivit d'après les notes de son maître décédé les trois derniers volumes de la seconde édition du Traité de minéralogie et publia un Nouveau Cours de minéralogie (1858). Enfin, Delafosse fut chargé par le ministre de l'Instruction publique de rédiger un rapport sur les progrès de sa discipline.
Des Cloizeaux (1817-1897) avait suppléé à la Sorbonne Delafosse, avant de lui succéder dans la chaire de Minéralogie du Muséum. Elève de Brongniart au Muséum, de Dufrénoy et d'Henri de Sénarmont à l'Ecole des mines, de Jean-Baptiste Biot au Collège de France, Des Cloizeaux fut un spécialiste de l'optique cristalline qu'il appliqua à l'étude des minéraux. Il prôna l'utilisation du microscope polarisant en minéralogie et publia un Manuel de minéralogie (1862-1893) auquel il n'eut pas le temps de conférer l'exhaustivité voulue.
Les leçons de Des Cloizeaux au Muséum furent suivies par un jeune étudiant en pharmacie féru de minéralogie : Alfred Lacroix (1863-1948). Celui-ci se forma également dans sa discipline de prédilection au Collège de France, à l'Ecole des mines et à la Sorbonne. Ayant abandonné la pharmacie pour les sciences de la Terre, Lacroix suivit une carrière universitaire qui le conduisit finalement à prendre la succession de Des Cloizeaux dans la chaire de Minéralogie du Muséum.
Lacroix parcourut toutes les régions du globe, en particulier Madagascar, afin d'étudier les minéraux et les volcans en activité. Il fut surnommé « le philosophe des minéraux et des roches », car c'est dans le contexte général de l'histoire naturelle qu'il étudia la minéralogie, l'associant à la pétrographie, à la géologie et à la géophysique. Ne se bornant pas à décrire les propriétés physico-chimiques de très nombreuses espèces minérales, Lacroix étudia aussi leur genèse, leurs transformations, leurs associations, ainsi que leur rôle dans la constitution des roches. Il publia notamment (avec Auguste Michel-Lévy) un Tableau des minéraux des roches : résumé de leurs propriétés optiques, cristallographiques et chimiques (1889), une Minéralogie de la France et de ses colonies (1893-1913) et des ouvrages d'histoire des sciences, comme Déodat Dolomieu : 1750-1801 ; sa correspondance, sa vie aventureuse, sa captivité, ses oeuvres (1921) ou Figures de savants (1932-1938).
Au Muséum, Lacroix accrut énormément les collections de minéraux, se procurant de nouveaux échantillons grâce à ses missions lointaines ou à des dons. Il réorganisa la galerie de minéralogie, qu'il rendit attrayante pour les visiteurs. De plus, dans le cadre de sa discipline, Lacroix permit au Muséum de participer à l'exposition coloniale de Marseille en 1921.
Une remarque s'impose pour terminer : au Muséum, la minéralogie ne fut pas l'apanage des professeurs titulaires de la chaire dévolue à cette discipline. Ainsi, les pharmaciens Nicolas Vauquelin (chaire des Arts chimiques) et André Laugier (chaire de Chimie générale) effectuèrent-ils l'analyse de nombreux minéraux [note]Philippe Jaussaud, Pharmaciens au Muséum : de la chimie à l'histoire naturelle, Paris, Muséum national d'histoire naturelle, 1998.. Le premier savant cité découvrit même, en collaboration avec son mentor Antoine de Fourcroy, plusieurs éléments chimiques nouveaux : le chrome, le béryllium, l'iridium. Quant aux géologues Auguste Daubrée et Stanislas Meunier, ils reproduisirent en laboratoire, grâce à la synthèse, les processus naturels de formation des minéraux.
Plusieurs professeurs du Muséum rassemblèrent donc, au cours des siècles, les éléments d'une démarche scientifique transdisciplinaire (incluant la chimie, la physique, la cristallographie, l'histoire naturelle). Cette approche permit de définir la notion, complexe, mais essentielle, d'« espèce minéralogique », dont l'historien peut aujourd'hui suivre l'émergence progressive en consultant les anciens traités. Heureusement, grâce au travail des conservateurs et des bibliothécaires, les livres de minéralogie ont traversé le temps sans dommages, pour nous transmettre, avec toutes les subtilités inhérentes aux textes originaux, la pensée de leurs auteurs.