Un « Delacroix du fusain »

Adophe Appian, dessinateur, peintre, aquafortiste et... musicien

Portrait du peintre Adolphe Appian, par F. Ambruster dans Recueil photographique de portrait lyonnais : artistes, XVI-XIXème siècle, Lyon, pl. 98 (BM Lyon, Rés. 30304).

La nouvelle donation effectuée au printemps 2006 par Colette et Etienne Bidon, ne regroupe pas moins de cinquante-six gravures à l'eau-forte dues à Adolphe Appian. Principalement des paysages des environs de Lyon et de l'Ain, des rives du Rhône, mais également des vues de bords de mer illustrant Collioure, Ca rqueiranne, Villefranche-sur-Mer et Monaco. Michèle Langara [note]Il convient ici de remercier Michèle Langara, responsable du fonds d'estampes de la Bibliothèque municipale de Lyon, pour les informations fournies dans le cadre du travail d'inventaire et de catalogage de cette donation, réalisé sous sa direction par Coline Valdenaire et consultable sur le site de la Bibliothèque (http://www.bm-lyon.fr), rubrique Collections numérisées, puis connexion Base Estampes. aime à souligner la rareté de certaines pièces. Ainsi La gardeuse de moutons [note]BM Lyon, cote : F19APP008116., datée 1864, dont il n'existe qu'une seule autre épreuve connue, au cabinet des estampes de la Bnf ; ainsi Les sources de l'Albarine [note]BM Lyon, cote : F19APP008134., datée 1870, très rare épreuve avant la lettre, signée ; ou encore une superbe épreuve, également avant la lettre, sur vergé fort à grande marges, de L'étang de Virieu [note]BM Lyon, cote : F19APP008127., datant de 1867. Font également partie de la donation, quatre lithographies en noir et blanc d'Appian lui-même, ainsi que trois lithographies réalisées d'après lui : Promeneurs en sous-bois avec mare à Morestel par Eugène. Leroux, Femme et son chien en forêt de Fontainelbeau par Célestin Nanteuil, Lyon, Vue du coteau de Fourvière, en couleur, par Eugène Cicéri. Tout cela est suffisant pour évoquer ici la carrière d'un artiste peintre et dessinateur lyonnais trop oublié, pourtant flatteusement qualifié de son vivant, de « Delacroix du fusain ».

Appian dans son atelier, gravure par B. Delaye, dessin par L. Bourgeois, dans La Vie française, n°1, 1er février 1894 (BM Lyon, 126734)

De son vrai prénom Pierre Barthélemy, Appian naît à Lyon, à la fin d'août 1814, même si ses divers biographes ne sont point d'accord sur la date exacte. Le 28 août pour le fameux Bénézit [note]E. Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, 14 vol., Paris, Gründ, 1999., le 23 pour Audin et Vial [note]Marius Audin et Eugène Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art de la France - Lyonnais, Lyon, Les Editions provinciales, réédition 1992. et pour Pierre Miquel lequel consacre à Appian pas moins de cinquante pages dans son Paysage français au XIX e siècle [note]Pierre Miquel, Le paysage français au XIX e siècle, 1840-1900, Maurs-la-Jolie, Editions de la Martinelle, 1985.. Une chose est sûre, le milieu est modeste : le père, Pierre Barthélemy est plâtrier au n°1 de la rue du Plat.

L'ascendance d'Appian se trouve en Italie, dans le diocèse de Milan, où de nombreux Appiani ont fourni, depuis deux siècles, quelques artistes issus de familles de maçons et de plâtriers. Le plus célèbre Andrea Appiani (1754-1817) [note]Andrea Appiani a peint un beau portrait du cardinal Joseph Fesch, oncle de Napoléon, nommé en 1802 archevêque de Lyon. Le prélat est représenté en habit de choeur avec la croix pectorale et la décoration de grand aigle de la Légion d'honneur passée en sautoir. Datée de 1807, cette huile sur toile est conservée dans le trésor de la primatiale Saint-Jean, était très apprécié par Napoléon
note Pierre Miquel, pour ajouter aussitôt :
on sait peu de choses de sa petite enfance de fils d'artisan. Il fréquente probablement l'école paroissiale [note]Il s'agissait de celle de Saint-Martin d'Ainay. puis est placé au petit séminaire Saint-Jean où il fait sa première communion le 31 mars 1830.
Très tôt, le père, musicien né, initie son fils à la pratique musicale et l'enfant devient vite un virtuose du cornet à piston. Il le destine à devenir dessinateur en soierie, activité alors très recherchée par l'industrie de la soie, la Fabrique, très active dans la cité de Jacquard. Le garçon entre donc en 1833, et pour trois ans, à l'Ecole royale des Beaux-Arts de Lyon, alors sise au palais des Arts, actuel musée Saint-Pierre, où il étudie la décoration dans la classe de Thierriat [note]Lui aussi dessinateur pour la Fabrique, peintre et graveur, Augustin Alexandre Thierriat (1789-1870) avait été nommé, en 1823, professeur de la classe de Fleur à l'Ecole de Beaux-Arts où il enseigna pendant vingt ans. Il fut aussi conservateur des musées de peinture et de sculpture de Lyon et laissa une importante production mêlant peintures, souvent de fleurs, gravures à l'eau-forte et lithographies dont il publia deux albums. et l'art paysagiste dans celle de Grobon [note]Peintre et aquafortiste, fils d'un marchand de rubans, Michel Grobon (1770-1853), travailla d'abord d'après nature avant d'entrer, sous la Révolution à l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon, comme élève d'abord, puis comme professeur de 1813 à 1839. Retiré de la vie publique, ayant peu produit, il laissa quelques portraits, des intérieurs, mais surtout des paysages finement restitués, huiles, gouaches, aquarelles ou lavis.. Il travaille ensuite comme dessinateur chez un soyeux de Saint-Etienne, retrouve sa famille désormais domiciliée rue Lainerie, dans le quartier Saint-Paul, réalise ses premiers dessins d'après nature, prend son indépendance en s'installant place des Célestins puis rue Tramassac, en haut d'un immeuble accroché à la colline de Fourvière, d'où il peut admirer la ville.

Parallèlement, il entre dans l'orchestre du Grand Théâtre, au pupitre de cornet à piston, s'assurant par là quelques subsides, tout en secondant son père au sein d'un orchestre amateur qui se produit dans les mariages et les fêtes d'alentour.

De la fosse d'orchestre à la campagne dauphinoise

Inlassable voyageur - il monte à Paris, parcourt l'Auvergne en compagnie de son ami le peintre Sicard, descend le Rhône en bateau jusqu'à Beaucaire -, Appian expose pour la première fois au Salon de Lyon une Vue prise aux environs de Marseille et se marie en mai 1849 avec une professeur de piano. Il a 31 ans, elle en a 29 et ne survivra pas à ses premières couches. C'est le moment où il commence à signer du prénom Adolphie, partageant son temps entre les leçons de dessin, la fosse du Grand Théâtre et la campagne environnante où il croque et dessine tout à loisir, l'artiste affine son trait, aiguise son regard, personnalise son art du paysage qu'il traite plus par son atmosphère que par sa description, en s'affranchissant peu à peu des leçons de l'Ecole des Beaux-Arts, école de la minutie et de la manière analytique signale Marie-Dominique Rivière [note]Marie-Dominique Rivière, « Le sentiment de la nature » dans Adolphe Appian (1818-1898), peintre et graveur de l'école lyonnaise, catalogue d'exposition, Musée de Brou, 1997.. A Crémieu, petite ville médiévale du Nord Isère, au cours de l'été 1852, il rencontre Corot et Daubigny qui lui tiennent des propos flatteurs. Guidé par l'exemple de ces artistes, il va tendre vers la représentation de l'air et de la lumière, ces deux éléments du paysage qui lui donnent cependant toute sa présence. [note]Idem.

La gardeuse de moutons, par Adolphe Appian. Eau-forte, 1er état, 1864 (BM Lyon, F19APP008116)

Bientôt, alors que les crises financières à répétitions menacent l'existence même du Grand Théâtre de Lyon... et de son orchestre, Appian s'installe carrément à Crémieu dont les environs vont être sa grande source d'inspiration. Il expose à Lyon, à Montpellier et enfin à Paris en 1853... sans pour autant stimuler la curiosité de la critique. La même année il se met à la gravure. C'est l'époque où il séjourne en forêt de Fontainebleau et à Barbizon, où il obtient, enfin, une médaille à Nîmes où il a envoyé des fusains, le temps où des relations, influentes auprès du duc de Morny, président du Corps législatif et demi-frère de l'Empereur, lui obtiennent l'achat de deux de ses fusains par l'Etat. Passant volontiers ses étés en famille ou en compagnie d'amis, souvent des artistes, trouvant une nouvelle épouse âgée de 23 ans - il en a près du double - multipliant les oeuvres, exposant assidûment dans l'Hexagone, en particulier dans la capitale et dans sa ville natale, Adolphe Appian commence à aligner médailles et récompenses. En 1862, il est présent à l'Exposition universelle de Londres avec deux fusains, L'étang de Poissieu, environs de Crémieu et Chemin des roches à Creys. La princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, lui achète son Village de Chanaz, enfin, en 1868, lors du Salon de Paris, l'artiste lyonnais est présenté à l'Empereur lui-même puis, dans la foulée, se voit accorder la Médaille d'or. De quoi lui faire mieux supporter les rivalités et les luttes d'influence qui agitent, autour de lui, le microcosme de la Société des Amis des arts de Lyon.

Femme et son chien en forêt de Fontainebleau, par Adolphe Appian, gravure par Célestin Nanteuil Paris, Imprimerie Bertauts, s.d. (BM Lyon, F19APP008173).

En 1870, le temps de guerre et le brutal changement de régime interrompent les expositions. De son côté, l'artiste fluidifie et éclaircit son trait. Il est vrai qu'il effectue plusieurs séjours à Monaco, plus tard à Martigues puis à Collioure, sous un ciel lumineux en tout point différent de celui du Dauphiné. Monsieur Appian exploite le golfe du Lion avec autant de succès qu'il exploita jadis le Bugey veut bien admettre le critique d'art du quotidien lyonnais Le Salut public, en juin 1877. Deux ans plus tard, désireux de rentrer au bercail, l'artiste voyageur achète une propriété au sommet de la montée Saint-Laurent, à la limite entre Lyon et Sainte-Foy-les-Lyon. Il y fait aussitôt construire un atelier et baptise sa nouvelle thébaïde « Les Fusains ». C'est là qu'il va dessiner désormais.

Appian peint par tous les temps, même sous la neige ; à partir de 1881, il aura coutume de s'installer dans son jardin pour brosser sa toile du 1er janvier, quels que soient le ciel ou la rigueur de la saison
note encore Pierre Miquel. C'est là qu'il mourra, au matin du 29 avril 1898, après avoir parcouru bien des lieues de Hendaye au lac Léman, du Var à Fontainebleau, signé bien des dessins, participé à bien des expositions, mais surtout vu grandir et s'affirmer son fils Louis, né en 1862, qui, lui aussi, est entré dans la carrière : il sera peintre et graveur à l'eau forte.

Lyon vue du cotaux de Fourvière, lithographie, dessin par Adolphe Appian, gravure par Eugène Cicéri (BM Lyon, F19APP008174)

Les dernières années n'en ont pas moins été moroses. La critique s'est détachée d'un artiste dont, pour elle, le trait s'étiolait. En 1889, pour le salon du Centenaire de la Révolution, ce dernier proposa un seul Lever de lune qui, suprême affront, fut refusé. Furieux, Appian jura de ne plus remettre les pieds dans la capitale. La Légion d'honneur mit un peu de baume sur sa plaie et plus encore la commande par l'Etat, en 1891, sous l'impulsion du préfet du Rhône Jules Cambon, d'une peinture destinée à orner un escalier de la toute nouvelle préfecture : Le soir au bord de la rivière d'Ain. En fait, le coup qui frappe le vieil artiste est d'un autre ordre : miné depuis des années par la tuberculose, son fils Louis agonise sous le soleil de l'Algérie recommandé par la corps médical. C'est un moribond qu'il faut prestement rapatrier en métropole, et qui meurt le 11 décembre 1896, à la villa « Les Fusains ».

Portrait d'Adolphe Appian gravé par son fils Louis Appian (BM Lyon, F19APP008167).

Par un singulier et heureux hasard, la donation Colette et Etienne Bidon contient un document émouvant : un portrait d'Adolphe Appian gravé par son fils Louis.