Priape sous le manteau

Regard sur les éditions lyonnaises de l'Histoire du prince Apprius roman licencieux du Siècle des Lumières

Dans la production licencieuse du XVIIIe siècle, l'Histoire du prince Apprius est un ouvrage précurseur, dont la première édition vit le jour à Paris vers 1728. L'Ode à Priape d'Alexis Piron [note]Alexis Piron (1689-1773) écrivit nombre de comédies pour le Théâtre de la Foire, des pièces pour la Comédie Française et des livrets d'opéra. Ses poésies érotiques de jeunesse, telle l'Ode à Priape, justement, lui avaient valu des ennuis dans sa ville natale de Dijon. Plus tard, elles provoquèrent le refus du roi Louis XV de ratifier son élection à l'Académie française. l'avait précédé en 1710, mais la vague de publications de ce genre de romans ne devait débuter véritablement qu'en 1741, pour enfler considérablement dans la seconde moitié du siècle. En 1741, en effet, apparurent sur le marché Le Canapé couleur de feu de Fougeret de Monbrun [note]Fougeret de Montbrun (1706-1760), esprit indépendant et mauvais caractère, pilier des maisons de tolérance et des cabarets, connut une vie aventureuse partagée entre les exils, les voyages et la prison., l'Art de foutre ou Paris foutant de Baculard d'Arnaud [note]Baculard d'Arnaud (1718-1805) fit triompher le sentimentalisme dans ses pièces et dans ses romans comme Les Epreuves du sentiment, nettement influencé par La Nouvelle Héloïse de Rousseau. , et la célèbre Histoire de Dom B... [Dom Bougre] portier des Chartreux de Gervaise de la Touche [note]Jean-Charles Gervaise de la Touche (1716-1782) passe pour le mystérieux auteur de ce roman licencieux, peut-être écrit avec son ami Billard, comme lui jeune homme de loi adjoint du puissant procureur Lambotte, protégé par le ministre Maurepas. Cela explique sans doute la disparition des dossiers les concernant, dans les archives de la Bastille.. L'Histoire du prince Apprius fut attribuée dès son vivant à Pierre-François Godard de Beauchamps (Paris 1689-22 mars 1761) qui en a toujours nié la paternité.

On sait, à vrai dire, assez peu de choses sur cet auteur, sinon qu'il exerça aussi les fonctions de censeur royal [note]Voir : - Cardinal Georges Grente, dir., Dictionnaire des Lettres françaises. Le XVIIIe siècle. Edition revue et mise à jour sous la direction de François MOUREAU, Paris, Fayard, 1995. - Jean-Pierre Dubost, « Anagramme de Begehrens : Histoire du prince Apprius », Eros und Vernunft. Literatur der Libertinage, Francfort, Athenäum, 1988. - Hans Christoph Hobohm, Roman und Zensur zu Beginn der Moderne Vermessung eines sozio-poetischen Raumes, Paris 1730-1744. Francfort et New York, Campus Verlag, 1992.. Il avait débuté comme secrétaire du maréchal de Villeroy, par ailleurs gouverneur de Lyon et fut un romancier souvent anonyme, en particulier pour des écrits libertins présentés comme des traductions du grec ou du persan. Il fut aussi, plus officiellement, l'auteur de comédies oubliées, représentées au Théâtre-Italien comme Le Jaloux (1723), La Fausse inconstance (1731) ainsi que du livret du Ballet de la Jeunesse, sur une musique de Hatot et Alarius, donné au palais des Tuileries, devant le jeune roi, en février 1718. C'est en 1737 que Godard devint inspecteur de la Librairie, c'est-à-dire de la Censure, poste où il ne semble pas avoir fait preuve d'une activité débridée.

Page de titre de l'Histoire du prince Apprius etc..., par Pierre-François Godard de Beauchamps ca. 1728 (BM Lyon, B 508778)

L'Histoire du prince Apprius a été considérée comme une satire contre le Régent par Paul Lacroix [note]Plus connu sous le pseudonyme du Bibliophile Jacob, cet érudit français (1806-1884) fut aussi bibliographe, journaliste, auteur dramatique et conservateur à la Bibliothèque de l'Arsenal., opinion que ne partageait pas Charles Nodier. De fait, tous les noms apparaissant dans ce roman sont des anagrammes de parties anatomiques ou de pratiques sexuelles (Monilne = monin, Danbre = bander, Mina = main, Brularues = branleurs, Chedabars = bardaches, Roulée = vérole, etc...), et aucun ne renvoie explicitement à des personnages ayant existé. Apprius lui-même est l'anagramme de Priapus [note]Priape était, dans la mythologie grecque, un dieu de la fertilité, protecteur des jardins et des troupeaux. On le représentait représenté le plus souvent de grotesque façon, pourvu d'un énorme phallus en perpétuelle érection.. Le lecteur pourra se faire sa propre opinion en lisant l'oeuvre, puisqu'elle a fait récemment son entrée dans la célèbre bibliothèque de la Pléiade [note]Patrick Wald Lasowski, éd., Romanciers libertins du XVIIIe siècle. Tome 1,Paris, Gallimard, 2000, (Bibliothèque de la Pléiade). L'Histoire du Prince Apprius ouvre le volume. Elle est accompagnée de la Suite d'Apprius du prince de Ligne vers 1788.... Ce qui nous dispense par là même d'en narrer ici toutes les péripéties [note]L'ouvrage fait l'objet d'une notice dans le Dictionnaire des oeuvres érotiques. Domaine français, Paris, Robert Laffont, 2001. (Collection Bouquins) : Histoire du prince Apprius, p. 220-221.. Disons simplement que le jeune Apprius, prince du royaume des Siders (Désirs) et de la province des Celulois, s'ennuie au milieu de sa cour et de ses richesses. Son conseiller Danbre, lui suggère de partir découvrir l'île de Taliélaré, mais son navire fait naufrage et la reine Mina le recueille au pays des Dotigs. Au cours d'une chasse, Apprius s'égare, se retrouve prisonnier du prince Lucanus, s'évade et trouve enfin l'âme soeur en la personne de la princesse Monilne qu'il finit par épouser, après bien des rebondissements.

Ce roman, comme nous allons le voir, a une histoire éditoriale complexe. Avant d'essayer de démêler cet écheveau, signalons simplement qu'il a également été publié sous le titre : Histoire du prince Papirius, comte de Pillargent , gouverneur des Francs-Sots. Il a également fait l'objet, dès sa parution, d'une traduction et d'au moins deux éditions anglaises :

  1. The History of King Apprius &c. Extracted from the Chronicle of the world, from its creation. Translate from a Persian manuscript found in the library of Shah-Hussain... By a gentleman who served in the Persian armies [London] sold by the booksellers of London and Westminster, 1728, 116 p., 12°.
  2. The History of King Apprius &c. Extracted from the Chronicle of the world, from the creation thereof, translated into English from the Persian manuscripts found in the Library of Shah-Hussein by a Gentleman who serv'd in the Persian Armies, London printed ; Dublin re-printed and sold by George Faulkner and James Hoey, 1728.
P age de titre de l'Histoire du prince Apprius... Le Haye, chez Jaques van den Kieboom, 1748 (BM Lyon, Rés. 357006)

Enfin, il a reçu une Suite due à la plume de Charles-Joseph prince de Ligne, vers 1788, qu'on trouvera également dans le volume de la Pléiade.

Un texte non autorisé... méritant donc l'achat

Comme le souligne Patrick Wald Lasowski, l'histoire éditoriale de ce roman fut mouvementée et demeure difficile, sinon impossible, à reconstruire : [...] Toutes les impressions du texte ayant été clandestines - sauf la reprise tardive du texte en 1797, dans un recueil de textes licencieux - leur provenance est très difficile sinon impossible à établir. De plus, la date donnée par la page de titre ne correspond pas nécessairement à la date réelle de l'émission et l'ouvrage peut être postdaté de plusieurs mois, s'il paraît en fin d'année. Inversement, deux ouvrages portant la même date et le même lieu d'émission peuvent être le produit de tirages distincts [...]

La date même de parution de l'originale est sujette à caution. Jean-Marie Quérard, se fiant sans doute à l'intitulé du titre, propose dans sa fameuse La France littéraire (tome 1) : « vers 1722 ». Cette datation, erronée, est reprise par les notices des exemplaires des bibliothèques de Nîmes et Saint-Étienne, telles qu'elles apparaissent au Catalogue collectif de France. De fait, la première édition est parue à Paris, sur des presses non identifiées à ce jour, sous l'adresse de « Constantinople vers 1728 », en 74 pages avec un titre noir et rouge. Elle a été très vite imitée à Lyon. La généalogie des éditions successives est d'autant plus délicate à reconstruire, que plusieurs éditions portent simplement « l'année présente ». Quant aux dates effectivement revendiquées au titre des autres, elles sont elles aussi sujettes à caution.

"Bacchante en fureur" dans Recueil de trois cents têtes et sujets de composition gravés par le Mr le Cte de Caylus [...], s.l., Basan, 1766, pl. 212 (BM Lyon, Rés. est. 423297)

Les lieux de publication annoncés ne sont pas plus fiables. Constantinople apporte un parfum d'exotisme à une histoire censée être tirée d'un manuscrit persan. Cette localisation ne trompait personne au XVIIIe siècle, mais suggérait un texte non autorisé méritant l'achat. D'autres éditions sont parues sous l'adresse de La Haye, chez J. van den Kieboom (1729, 1748) ou chez Jacques van den Kieboom (1763, 1764, 1768). Sous réserve de vérifications, il s'agit vraisemblablement d'éditions françaises se cachant derrière une adresse fictive, étrangère, utilisant le patronyme d'imprimeurs-libraires bien réels. Selon Bibliopolis [note]http://krait.kb.nl/coop/bibliop/bibl-html/index_en.html, le site Internet d'histoire du livre de la Bibliothèque royale des Pays-Bas, Jacobus van den Kieboom exerça à La Haye de 1729 à 1744 ; et un ou deux [ ?] Johannes van den Kieboom à Breda de 1732 à 1764, à Dordrecht de 1748 à 1750, puis à La Haye en 1768. Bibliopolis indique d'ailleurs que le nom de Jacobus a été usurpé dans des adresses fictives. Cette pratique transparaît dans l'exemplaire portant l'adresse de La Haye chez Jacques van den Kieboom et la date de 1748, soit quatre ans après la cessation d'activité de l'intéressé. Exemplaire conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon [note]BM Lyon Rés 357006..

Nous en donnons ci-après la description :

HISTOIRE/DU PRINCE/APPRIUS,/ Extraite des fastes du Monde,/depuis sa Création./Manuscrit Persan trouvé dans la/bibliotheque de Schah-Hussain,/Roi de Perse, déthrôné par Ma-/mouth en 1722 ./TRADUCTION FRANÇOISE./Par Monsieur ESPRIT,/Gentilhomme Provençal,/Servant dans les Troupes de Perse./Avec la clef./[fleuron]/A LA HAYE,/Chez JAQUES VAN DEN KIEBOOM,/[filet maigre 69 mm], M D C C X L V I I I. Collation : 96 p. ; 8°. Pagination en haut de page (gauche/droite). La clef, pages 93-96, est paginée entre parenthèses en milieu de haut de page. Signatures : A-F8, en chiffres arabes jusqu'en milieu de cahier. Empreinte : n-sa s,es x ;ns Daon (3) M D C C X L V I I I . Titre courant : p. 8-91 [gauche] HISTOIRE [droite] D'APPRIUS ; p. 92 HISTOIRE ; Contenu : 1 titre, 2 blanc, 3 AU LECTEUR, 7 HISTOIRE DU PRINCE APPRIUS PREMIERE PARTIE, 37 SECONDE PARTIE, 61 TROISIEME PARTIE, 93 Clef des Anagrammes de ce Livre. Filigrane : pas de filigrane visible ! Reliure : maroquin rouge XVIIIe s. de Mouillie (Paris). Triple filet doré d'encadrement, dos long. Tranches dorées.

"Sacrifice à Priape" dans Recueil de trois cents têtes et sujets de composition gravés mar Mr le Cte de Caylus [...], s.l., Basan, 1766, pl. 209 (BM Lyon, Rés, Rés. Est. 423297).

L'utilisation de signatures jusqu'en milieu de cahier, et pas au-delà, suggère un atelier français. Le relevé des différentes éditions du XVIIIe siècle de l'Histoire du prince Apprius montre la difficulté des tentatives d'identification. Nous livrons cette liste avec circonspection. Tous les exemplaires n'ayant pu être examinés à ce jour, elle repose sur les notices données par les catalogues de bibliothèques et ouvrages de référence consultés... avec leur degré d'imprécision. Le XVIIIe siècle aurait au moins produit onze éditions de ce texte. A part le numéro 1 qui signale l'édition originale, la numérotation des éditions des années 1728-29 est arbitraire, leur chronologie ne pouvant être établie :

  1. 1) Constantinople [Paris. Lyon selon la British Library], 1728, [2]-74 p., 12°. Titre en noir et rouge. Edition originale considérée comme probablement parisienne par Françoise Weil , retenue par Wald Lasowski pour la Pléiade.
  2. 2) Constantinople [Lyon ?], 1728, 96 p., 12°.
  3. 3) Constantinople [Lyon selon BNF et la thèse de Françoise Weil], 1729, [4]-108 p., 12°.
  4. 4) Constantinople [Lyon], l'année présente [ca 1728-29], 72 p., 12°. Le catalogue de la British Library propose la date possible de 1730, en s'appuyant sur les travaux de S.P. Jones . Nous verrons plus loin que cette édition date au plus tard de 1729. De fait, cette description recouvre deux éditions différentes, comme le prouvera l'examen des exemplaires de Lyon et Saint-Étienne.
  5. 5) La Haye, J. [Jacques] van den Kieboom, 1729, 92 p., 12° ou 8° [selon les notices]
  6. 6) La Haye, J. van den Kieboom, 1748, 96 p., 8°.
  7. 7) La Haye, Jacques van den Kieboom, 1763
  8. 8 ) La Haye, Jacques van den Kieboom, 1764
  9. 9) La Haye, J. van den Kieboom, 1768, 92 p., 8°. Paris Bib. Ste Geneviève 8-Z-5830 inv. 8939 FA (p.1).
  10. 10) dans : Les Aphrodisiaques, recueil de romans libres, rares et singuliers, Paris, Mercier 1797.
"Gravure ityphalliqueé (sic) dans Recueil de trois cents têtes et sujets de composition gravés mar Mr le Cte de Caylus[...] s. l., Basan, 1766, pl. 211 (BM Lyon, Rés. EST. 423297)

Livres brûlés en place publique

Dès sa parution, l'ouvrage intéressa les curieux... et fut traqué par la police. Robert Darnton le signale dans The Corpus of Clandestine Literature in France 1769-1789 et Françoise Weil dans Livres interdits, livres persécutés 1720-1770. Cette dernière relève un certain nombre de saisies significatives : 190 exemplaires le 9 novembre 1728 sur le marquis de Ricardi en partance pour l'Angleterre via Calais, 26 exemplaires en 1739, 7 exemplaires en 1767, des exemplaires isolés en 1742, et le 10 mai 1743 dans un ballot en provenance de Lyon. L'ouvrage fut pilonné en 1749, et retiré des ventes Gersaint en 1750 [note]Voir Guillaume Glorieux, A l'enseigne de Gersaint. Edme-François Gersaint, marchand d'art sur le pont Notre-Dame (1694-1750), Seyssel, Champ Vallon, 2002, p. 580. Le n° 69 de la « liste des livres non compris dans le catalogue de la vente du fonds de Gersaint (25 mai 1750) » désigne un exemplaire prisé 5 livres de l'édition supposée de La Haye, 1729. et La Boissière en 1763. C'est également à Françoise Weil que l'on doit d'avoir repéré dans le catalogue de 1740 du bibliophile lyonnais Adamoli (BM Lyon, mss 285, f° 28) une notule des plus intéressantes pour notre propos : (Lyon) Constantinople 1729 in-12 un volume très rare. Le nommé Guerrier imprimeur à Lyon qui en fit la seconde édition fut poursuivi en justice et se sauva à Genève.

Pour la première fois dans cette histoire, un nom réel, celui d'un lyonnais, apparaît. Nous savons à vrai dire peu de choses de Claude Guerrier. Contrairement à ce qu'avance Adamoli, il n'était pas imprimeur, mais simple libraire installé à proximité du Grand Collège [note]Actuel lycée Ampère.. Nous ignorons le début de son exercice, mais nous savons par l'inventaire après décès en date du 5 décembre 1719 [note]AD Rhône, BP 2089. de son père Jacques, qu'il travaillait en association avec celui-ci depuis février 1717. Claude Guerrier avait sans doute de qui tenir, puisque l'imprimeur-libraire lyonnais Hilaire Baritel dénonçait son père au Chancelier, en 1702, comme un des plus habiles contrefaiseurs de France. [note]BNF, mss FF 22071, p. 202, lettre d'Hilaire Baritel du 24 octobre 1702. C'est à la requête d'un groupe de confrères lyonnais et parisiens que Claude Guerrier fut arrêté, emprisonné, et condamné le 1 juillet 1729 [note]AM Lyon, FF 20, affiche de condamnation. à trois ans de bannissement, à la déchéance de sa maîtrise, et à 1500 livres d'amende pour avoir fait imprimer, vendu et débité de mauvais livres qui furent brûlés place du Grand Collège... et au nombre desquels figurait l'Histoire du prince Apprius. S'il faut en croire Adamoli, il aurait gagné Genève. Pour nous, en tout cas, il disparaît alors définitivement du monde de la librairie lyonnaise. Si Claudine Rongeard, sa servante, fut mise « hors de cour », son imprimeur fut identifié et condamné, par contumace, à deux ans de bannissement, à la déchéance de sa maîtrise, et à 200 livres d'amende. Cet imprimeur, Antoine 1 Chize, n'est guère connu. Sa présence est attestée rue Grôlée à partir de 1723. Son père, Claude, avait été reçu maître imprimeur en 1678. Antoine avait épousé Jeanne Bruyset, et était donc le beau-frère des imprimeurs-libraires Jacques et Louis Bruyset... qui avaient figuré au nombre des dénonciateurs de Claude Guerrier !

"Bacchanales" dans Musée royal de Naples, peintures, bronzes et statues érotiques du cabinet secret [...], par M. C. F. Paris, Abel Leroux Editeur, 1836, pl. VII (BM Lyon, Rés. 147044)

Antoine Chize et Claude Guerrier furent-ils les seuls lyonnais à produire des Apprius ? Dans la mesure où quatre éditions des années 1728-29 sont, à tort ou à raison, imputées à Lyon, peut-être pas. Deux éditions au moins, en l'état actuel de nos recherches, peuvent leur être attribuées. Portant au titre la mention « l'année présente », comptant 72 pages in 12°, elles sont de fait antérieures à juillet 1729, et ne peuvent être datées de 1730 comme le proposent la British Library et Jones. Ces deux éditions peuvent être ainsi décrites :

  1. Exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon (B 508 778) : HISTOIRE/DU PRINCE/APPRIUS,/&c./EXTRAITE/Des Fastes du Monde, depuis sa/Création./Manuscrit Persan trouvé dans la/Bibliotheque de Schah-Hussain,/Roi de Perse, détrôné par Ma-/mouth en 1722./TRADUCTION FRANÇOISE./Par Messire ESPRIT, Gentilhomme/Provençal, servant dans les Troupes/de Perse./[petit ornement]/Imprimé/A CONSTANTINOPLE,/L'année presente.[ca 1729]. Collation : [lac. ? 1-1 bl.]-[1-1 bl.]-72 p. ; 12°. Pagination en milieu de haut de page. Signatures : ?2, A-C12, en chiffres arabes, jusqu'en milieu de cahier, réclame d'un cahier à l'autre. Empreinte : uere uxe, itls dame (3) L'année presente. Titre courant : néant. Contenu : titre, blanc, 1 AU LECTEUR, 3 HISTOIRE DU PRINCE APPRIUS. PREMIERE PARTIE., 27 SECONDE PARTIE., 46 TROISIE'ME PARTIE. Errata au bas de la p. 72, sous la fin du texte. Filigrane (incomplet) : DL coeur MERCI[...]. Non identifié. Papier raisin. Matériel ornemental : fleuron du titre, frise haut p. 1 (« Au lecteur »), composition d'ornements en bandeau p. 3, frise p. 3, frise p.27, frise [trèfles] p. 46.
  2. "Un satyre et une bacchante" (fresque d'Herculanum" dans Musée royal de Naples, peintures, bronzes et statues érotiques du cabinet secret [...] par M.C.F., Paris, Abel Leroux Editeur, 1836, pl. XXXIII (BM Lyon, Rés. 147044)
  3. Exemplaire de la bibliothèque municipale de Saint-Étienne (A 20623) : Titre en noir et rouge : HISTOIRE/DU PRINCE/APPRIUS, &c./Extraite des Fastes du Monde,/depuis sa Création./Manuscrit persan trouvé dans la/Bibliotheque de Schah-Hussain,/Roi de Perse, détrôné par Mamouth en 1722./TRADUCTION FRANÇOISE./Par Messire ESPRIT, Gentil-/homme provençal/Servant dans les Troupes de Perse./[petit ornement]/Imprimé/A CONSTANTINOPLE,/L'année presente. [ca 1728-29]. Collation : [2 bl.-1-1 bl.], 72 p. ; 12° (demi-cahiers). Pagination entre parenthèses en milieu de haut de page. Signatures : ?2, A-F6, chiffres arabes jusqu'en milieu de cahier. Réclame avec ponctuation d'un cahier à l'autre. Celles de A à B et de B à C sont limitées à la première syllabe du premier mot du cahier suivant. Empreinte : a-re uxe » itls dame (3) L'année presente. Titre courant : néant. Contenu : p. blanche, p. blanche, titre, p. blanche, p. [1] AU LECTEUR., p. 3 HISTOIRE DU PRINCE APPRIUS. PREMIERE PARTIE., p. 27 SECONDE PARTIE., p. 46 TROISIE'ME PARTIE. Filigrane : inscription rognée (illisible !) en marge extérieure p. 55. Papier raisin. Matériel ornemental : Petit fleuron double au titre, frise de deux lignes adossées en haut de p. 1 (AU LECTEUR), composition d'ornements en bandeau p. 3, frise p. 27, frise [trèfles] p. 46. Particularités d'exemplaire : reliure en veau fauve du XVIIIe siècle, dos à cinq nerfs orné aux petits fers, pièce de titre en maroquin rouge, gardes marbrées cailloutées. Clef manuscrite [écriture postérieure] sur feuillets volants.

Fausses adresses étrangères

La confrontation des deux éditions suggère un certain nombre de pratiques communes qui conduisent à penser qu'elles sont sorties du même atelier : sans être similaire (sauf p. 46), le matériel ornemental est proche et utilisé aux mêmes endroits ; les signatures en chiffres arabes jusqu'en milieu de cahier. Les compositions sont cependant différentes, tout comme les fontes, mais les deux éditions ont le même nombre de pages. La différence des compositions est déjà visible dès l'épître au lecteur. Un examen attentif du texte permet de repérer les variantes : par exemple à la ligne 1 de la page 50 : « [...] un bien, à qui [...] » sur l'exemplaire de Saint-Étienne ; « [...] un bien : A qui [...] » sur l'exemplaire de Lyon. Les réclames et les coupures de ligne ne tombent pas toujours aux mêmes endroits : ainsi de la p. 46 : « Monilne étoit fille du Roi Téme-/ris [...] » sur l'exemplaire de Saint-Étienne ; « Monilne étoit fille du Roi de Té-/meris [...] » sur l'exemplaire de Lyon. Ce dernier présente, à la fin du texte, un « Errata » [sic !]. Les fautes qui y sont signalées figurent aux mêmes endroits (pages et lignes) dans l'exemplaire de Saint-Étienne. Cet élément nous amène à considérer l'édition conservée à Lyon comme postérieure à celle de la bibliothèque de Saint-Étienne.

La production imprimée de Claude Guerrier et d'Antoine Chize, conservée à la bibliothèque de Lyon est peu importante: trois titres pour chacun des protagonistes :

Publications de Claude Guerrier :

  1. LEMERY (Nicolas), Cours de Chymie....A Lyon, chez Claude Guerrier, 1724, 8° (340779).
  2. St François de Paule, MESTAYER (Fleury), Exercices spirituels pour la dévotion des treize vendredis en l'honneur de la Passion de Nôtre-Seigneur... A Lyon, chez Claude Guerrier, 1726, 12° (335032).
  3. Abrege de la Vie de Sainte Therese, vierge, mere des carmelites de l'étroite observance, et reformatrice des carmes déchaussés. Par Mr. Durret. A Lyon, chez Claude Guerrier, 1718 [i.e. 1728], 12° (459652).
Antiquité d'Herculanum, gravées par F.A. David Paris, David, 1780 sq., t. VII, pl. 151 (BM Lyon, SJ AK 177/50)

Impressions d'Antoine Chize :

  1. CHAMPETIER (Louis), Deo Optimo Maximo..., 1723, 4° (369043).
  2. LE MAISTRE de LA GARLAYE ((François-Marie), Illustrissimo Ecclesiae principi Francisco Paulo de Neufville de Villeroy... [s.d. ca 1725], 4° (trois exemplaires : 117003, 369058, 23279).
  3. Themistocle, tragedie... [s.d. ca 1728], 4° (114424).

Malgré sa modicité, cet échantillon permet de mettre en évidence un certain nombre de points communs avec les deux éditions de l'Apprius examinées : la pratique des signatures en chiffres arabes jusqu'en milieu de cahier, celle des réclames d'un cahier à l'autre, celle de la pagination en chiffres arabes en milieu de haut de page, l'utilisation du papier raisin sans filigrane visible, le recours à de petites frises en bandeaux qui, sans être totalement semblables à celles de l'Apprius, leur ressemblent cependant fortement et sont de même style.

La convergence de ces indices disparates et ténus, la certitude, par la procédure judiciaire, de l'implication de Claude Guerrier et Antoine Chize dans la publication de l'Histoire du prince Apprius, nous incitent à un double verdict :

  1. les éditions, différentes mais toutes deux datées de « l'année présente », conservées dans les bibliothèques de Saint-Étienne et Lyon sortent très vraisemblablement des presses lyonnaises d'Antoine Chize, à qui elles avaient été commandées par Claude Guerrier.
  2. celle de la bibliothèque de Saint-Étienne, avec ses coquilles non corrigées, et son titre en noir et rouge, comme dans l'édition originale parisienne en 74 pages, est très probablement antérieure à celle de Lyon. Dès lors, on peut suggérer que l'édition conservée à Saint-Étienne daterait de 1728, année de l'originale parisienne, et que celle conservée à Lyon du premier semestre 1729. C'est très certainement cette dernière qui fit l'objet de la saisie opérée lors de l'arrestation de Claude Guerrier.
Antiquité d'Herculanum, gravées par F. A. David Paris, David, 1780 sq., t. VII, pl. 147 (BM Lyon, SJ AK 177/50)

Il n'est pas impossible que d'autres éditions soient également sorties d'ateliers lyonnais, aussi bien parmi celles des années 1728-1729 imputées à Lyon par diverses notices catalographiques, sans doute sur la foi de l'affaire Guerrier, que parmi celles avouant une fausse adresse hollandaise. Seul un examen précis de leur facture permettra de le déterminer. La sulfureuse Histoire du prince Apprius conserve, sans doute à tout jamais, une part de son mystère. L'affaire Guerrier est un des nombreux exemples qui prouvent la capacité des hommes du livre lyonnais à contrefaire ou à imiter les textes à succès très peu de temps après leur publication par leurs confrères en particulier parisiens. C'est là une constante encore mal connue mais bien réelle de la librairie lyonnaise [note]Dominique Varry « Les imprimeurs-libraires lyonnais et Montesquieu », Le Temps de Montesquieu, actes du colloque international de Genève ( 28-31 octobre 1998), publiés par Michel PORRET et Catherine VOLPILHAC-AUGER, Genève, Droz, 2002, p. 43-63.Idem, « Une famille de libraires lyonnais turbulents : les Bruyset », La Lettre clandestine, n° 11, 2002, p. 105-127.Ibidem, « Les gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle : quand de 'loyaux sujets' sont aussi des 'maronneurs' », Le Peuple des villes dans l'Europe du Nord-Ouest de la fin du Moyen-Age à 1945, volume II, édité par Philippe GUIGNET, Lille, Centre de Recherches sur l'Histoire de l'Europe du Nord-Ouest, Université Charles De Gaulle Lille 3, 2003, p. 229-242.Ibid., « Secret Lyons editions of the philosophes », communication au colloque de la Society for the History of Authorship, Reading and Publishing, Los Angeles, juillet 2003. Une version remaniée et développée est à paraître dans le Gutenberg Jahrbuch.. Une constante d'autant plus difficile à mettre en évidence que les libraires et imprimeurs lyonnais avançaient masqués derrière de fausses adresses étrangères, parfois fantaisistes