Sommaire :

    La figure du collectionneur

    Vue sous un certain angle, l'inépuisable diversité patrimoniale d'une grande bibliothèque diversité dont Gryphe nous donne un bel aperçu - pose la question de sa finalité. Une fois dépassé le plaisir du détail pittoresque, une fois franchie l'illusion positiviste d'une mémoire encyclopédique qui gagnerait progressivement en cohérence et viendrait du même coup éclairer le présent, il se peut que le sentiment mélancolique de la contingence nous saisisse. Pour tirer pleinement parti de cette richesse, il faudrait qu'elle nous restitue le passé dans tout son détail, comme un grand récit, et nous y rattache par un continuum, mais elle n'est, pour une large part, qu'une accumulation de traces erratiques.

    C'est pourquoi la présence tutélaire des collectionneurs, perceptible dans les interstices de la bibliothèque, s'avère indispensable. C'est elle qui donne sens et cohérence aux collections, à celles que les collectionneurs ont constituées et léguées, bien sûr, mais aussi, par contagion, à la bibliothèque toute entière.

    Il suffit, pour s'en convaincre, de lire, ici, le texte émouvant de Madame Colette E.Bidon. "Vouloir, penser, sentir", autrement dit créer ou recréer un univers de sens, tel est d'après elle, la démarche fondamentale du collectionneur. En effet, ce que la bibliothèque publique échoue à organiser intimement, livrée qu'elle est à l'hétérogénéité des apports et à l'arbitraire du classement, le parti pris singulier du collectionneur l'anime d'une seconde vie, amenant secrètement le chercheur à emprunter, lui aussi, lorsqu'il essaie de mettre en ordre ses idées, la voie de la création.

    Puisse la revue Gryphe contribuer à emprunter cette voie, à jeter sur notre bibliothèque l'oeil du collectionneur passionné et engagé.