Résistance du livre
Que la force du livre ne réside pas seulement dans le texte mais aussi dans l'objet, ou plutôt dans une façon très particulière de matérialiser le texte, nous le savions déjà. Paradoxalement, la révolution numérique nous le rappelle de plus en plus chaque jour.
Il est des livres qui, par une voie inverse de la virtualité - celle de l'hyper-matérialisation - nous le font bien comprendre, comme le montre avec éclat l'exposition Du livre insolite au livre objet, réalisée par la Bibliothèque de la Part-Dieu [note]Exposition jusqu'au 13 juillet 2001.
Les livres objets tentent de repousser les limites physiques habituellement imposées au texte. Par exemple : faire émerger du plan de la page la troisième dimension (livres animés) ; en faire jaillir le son (Heidsieck) ; y inscrire la trace du corps de l'écrivain (Hubert Lucot) ; encapsuler les témoignages tangibles de la vie (Rodanski) ; transformer le signifiant en signifié, l'écuelle-livre en livre des soupes (Morel) ; faire d'un livre tous les livres possibles (Queneau) ; exhiber l'absence de livre en « fantôme » de bibliothèque (Scanreigh).
Ce faisant, les livres objets démontrent qu'il n'y a de sens qu'incarné. Mais, en même temps, à trop vouloir mettre en scène cette incarnation ils annulent ce qu'ils prétendent révéler. Tout en triomphant comme oeuvres d'art, ils échouent à être de vrais livres, de ceux dont la présence amicale va de paire avec une fonctionnalité sans ostentation. Finalement, en prônant l'excès ils rendent plus évidente encore la puissance du livre commun.
Le destin du livre est décidément étonnant : on aurait pu le croire historiquement contingent, transitoire, voué à tous les dépassements, électroniques ou poétiques. Le voilà qui résiste en son point d'équilibre, ni trop massivement technique, ni trop évanescent. Un compagnon discret en somme. Bien en main, bien en poche, et cependant miroir des plus subtiles pensées, le livre continue son périple.