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DANS LU BUOEY 277 à quelques centaines de mètres du village. Une brise légère avait déchiré les brumes, qui s'évanouissaient peu à peu dans les clartés du ciel. Aussitôt, la cloche de l'église sonna l'Angélus ; c'était la prière matinale, le salut à l'aurore nais- sante. Il était six heures. Les dernières ondes vibraient en- core, qu'une deuxième cloche tinta dans la plaine, et, confusément, plusieurs autres leur répondirent au loin. Au milieu de cette harmonie aérienne, le roulement d'un charriot dans un chemin pierreux me fit tourner la tête... Le soleil se levait. Les premiers rayons plongeaient dans l'ombre de la montagne; lentement, des vapeurs bleues montaient du bois et flottaient à mi-coteau. Dans le ciel, plus un seul flocon blanc. Autour de moi, le pâturage s'animait à la tiédeur du matin; les brins d'herbe balançaient leurs gouttes de rosée miroitantes; le feuillage métallique des buis mêlait son acre parfum aux senteurs des lavandes; les alouettes, voletant çà et là , allaient répéter leur chanson bien haut dans les airs et les petits mousserons blancs luisaient plus que jamais au milieu des cailloux. Comme j'étais penché près d'un buisson, je vis tout à coup surgir à mon horizon, entre le soleil et moi, une silhouette encornée qui, à ma vue, s'arrêta; puis deux, trois, quatre et un nombre infini; j'entendis des bêlements plaintifs et un grognement sourd qui devait sortir d'une bouche humaine. C'était le troupeau de la commune et son berger ; il y avait plus de cent moutons, sans compter les vaches. Je me redressai, et le pâtureau, qui ne m'avait point vu, tressaillit de tous ses membres. Après -un instant de surprise, il m'examina de la tête aux pieds. Je le toisai à mon tour : il avait plus de trente ans, et la barbe apparais- sait à peine sur son visage jaune et chétif ; de petits yeux rouges presque dépourvus de cils brillaient sous l'ombre