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46 PIERRE ET JEANNETTE semble Dieu d'avoir dirigé ma main dans ce redoutable moment; nous avons fait encadrer cette boucle de cheveux, et rappelé, comme vous voyez, notre reconnaissance à la Providence. » Je connaissais cette histoire ; mais je l'écoutais toujours avec un nouvel intérêt ; elle toucha visiblement mon ami. Nous demandâmes à Pierre de nous montrer ses étables, sa grange, sa basse-cour et son jardin. Nous commençâmes par l'examen des quatre belles va- ches, Fromentine, Blanche, Barjolée et Frisoline (1), qui nous regardaient de leurs grands yeux étonnés; elles avaient une litière fraîche, une peau nette et bien étrillée, contrairement aux habitudes de tant de fermes où on laisse les pauvres animaux dans la pourriture, le corps cou- vert d'une couche épaisse de leurs immondices. On ne craignait pas d'atteler de temps en temps ces courageuses bêtes à la charrue, malgré leur sexe, et elles avaient autant d'ardeur au travail que des bœufs vigoureux. La chèvre Brunette eut son tour. Jeannette nous énu- méra avec fierté ses qualités, ses traits d'intelligence, le bon lait qu'elle fournissait à ses deux enfants et les fro- mages excellents qui provenaient du surplus. Une dizaine de brebis et de moutons habitaient la même étable qu'elle, et l'active maîtresse leur prodiguait les mêmes soins. Voilà maintenant les poules, avec leur coq fier et su- perbe. La basse-cour est assez vaste, mais elle est entourée d'un treillis qui empêche ces volatiles trop vagabonds d'aller causer des ravages dans les champs d'alentour. « Beaucoup de nos voisins, nous dit Pierre, s'imagi- nent que les poules ne coûtent rien quand elles vont cou- (1) On appelle souvent ainsi, dans le Charollais, les vaches qui ont sur le front des poils un peu bouclés.