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170 ALLOCUTION DU PRÉSIDENT. La fortune a cessé de lui sourire, mais nul ne peut oublier son règne, l'ingratitude n'est bonne a personne. Celui qui rougit du passé, voit tous les fronts rougir de lui ; la faveur même du présent lui échappe quelquefois, et il n'échappe jamais lui-même a la justice de l'avenir. Pour moi, je me crois moins qu'U personne le droit d'être ingrat envers les grandes années de la barre et de la tribune ; je leur ai dû beaucoup, je leur ai donné peu. Que nul, du moins , ne m'accuse jamais d'avoir trahi leur mémoire? Comment oublierais-je ce grand barreau qui m'éblouit, me reçut et m'inspira au matin de la vie ; comment déserterais-je surtout, le culte de cette glorieuse tribune, où il me fut si longtemps donné de voir et d'admirer de si près tant d'illustres génies? Ces trente-quatre années de la Monarchie constitutionnelle, furent vraiment l'âge d'or de la tribune moderne. Cette époque ne peut envier aucun temps ni aucun pays. L'histoire admirera, sans doute, les ardentes inspirations qui élevèrent si haut le premier vol de l'éloquence dans notre grande assemblée de 1789 ; mais la mesure et l'expé- rience lui manquèrent souvent. La science parlementaire ne pouvait être ancienne en naissant ; elle a mûri plus tard par le temps et l'exemple. Le monde rendra toujours une éclatante justice a cette parole si pleine , si précise , si fermement patriotique , qui honore le parlement d'Angleterre, mais je n'y trouve pas cette attitude solennelle et inspirée, dont la tribune semble , comme ' un trépied politique , posséder l'écla- tant privilège; je n'y rencontre pas, au même degré, cette teinte ardemment colorée de chaleureux entraînements et de chevaleresque générosité, qui semble, pour la France, une fleur de son soleil et un fruit de son histoire.