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BIBLIOGRAPHIE. 157
mal reçu un travail où la grande expédition des chrétiens aurait
été décrite avec la foi ardente des chroniqueurs du moyen-âge.
Aujourd'hui le public respecte davantage l'indépendance de l'é-
crivain et sans être taxé d'être aussi crédule que Raymond d'Agiles,
on peut laisser courir sa plume sous l'influence de sa croyance
ou de son opinion. M. Peyré a donc pu donner plus de couleur Ã
ses tableaux et faire mieux ressortir l'esprit général qui animait
nos pères. De nouveaux documents et parmi ceux-ci la chanson
de Geste échappée aux investigations des compilateurs, lui ont
révélé des faits intéressants, des mœurs trop légèrement étudiées
et peu connues. Enfin, des développements plus grands, deux
volumes consacrés à une expédition de quatre années, au lieu
des quelques chapitres de Michaud, des citations précieuses et
cependant négligées par l'habile chroniqueur, des notes nom-
breuses, des pièces justificatives bien choisies, une liste de tous
les Croisés dont les noms sont venus jusqu'à nous, font, du livre
que nous analysons, une œuvre nouvelle et originale qu'on devra
lire et consulter, même après le grand travail historique du savant
académicien.
Ce qui frappe surtout en ouvrant ces deux beaux volumes c'est
la conscience et la prudence avec lesquelles ils sont écrits. Pas un
fait n'est admis sans avoir été contrôlé, pas une date, pas un
chiffre n'est accepté sans avoir été débattu. Si un manuscrit
parle de cent mille combattants ou de vingt mille tués, M. Peyré
s'arrête, consulte, inlerroge et ne reprend sa route qu'après
s'être assuré du nombre à poser. Tandis que les faiseurs de nos
jours traitent l'histoire comme un roman, acceptent les docu-
ments de toutes mains et cherchent plutôt à plaire qu'à instruire,
notre auteur, et c'est là un mérite sérieux, au lieu de vouloir
jouir vite et tôt, a passé de longues années à éclaircir des ques-
tions obscures, comparer des textes douteux et à découvrir la
certitude dans les profondeurs du passé.
C'est donc avec une satisfaction pure de toute méfiance qu'on
peut étudier le mouvement et les péripéties de la première
Croisade dans l'important ouvrage que nous signalons, suivre les
marches périlleuses des premiers pèlerins à travers les plaines
de l'Allemagne et de 1% Hongrie, étudier les ruses de cette cour
corrompue de Constantinople, pleine, comme de nos jours,
d'embûches et de faiblesse, contempler ces luttes brillantes des
soldats de Tancrède et de Godefroy contre cette cavalerie fa-
meuse du désert, enfin se reposer au pied du tombeau du Christ
ou suivre le vainqueur de Jérusalem aux lieux que les saintes
écritures ont immortalisés ou que la Passion du Sauveur ont
sanctifiés.
Un style clair, abondant et digne de l'histoire complette le
mérite de ce travail. Des Cartes-itinéraires et des plans facilitent
le lecteurs, et, pour rendre justice à qui de droit disons que
MM. Laurent de Dignoscyo et Rembielinski ont signé des plan-
ches qui leur font honneur. A. V.