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CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉPOPÉE. i>3 locales de la contrée qu'il décrit. Rien n'est beau que le vrai. Cette maxime éternelle embrasse à la fois et la poésie et la prose. A mérite égal, une épopée historique doit l'emporter nécessairement en intérêt sur une épopée purement fictive et romanesque, et plus elle est historiquement ou tradition- nellement vraie, plus aussi elle a de chances pour plaire et pour attacher, plus surtout elle peut aspirer a cette immor- talité que les grands souvenirs qui ont fait époque dans la mémoire des peuples emportent toujours avec eux. Voilà pourquoi, Messieurs, je comparerai sans cesse la Jérusalem Délivrée du Tasse et avec l'Orient et avec l'histoire. Mais peut-être, me direz-vous, allez-vous partir d'un point de vue faux ou trop exclusif, et être par cela même entraîné a blâmer, ou, du moins, à ne pas admirer, autant qu'elles le méritent, certaines parties de ce poème qui ne pourront guère résister à une pareille épreuve ? Ignorez-vous donc, me direz-vous encore, les droits inaliénables de la poésie ? Pourquoi voulez-vous enfermer cette noble fille du ciel dans l'étroite enceinte de ce monde mortel ? pourquoi voulez-vous tenir son vol abaissé vers la terre et ne pas lui permettre de s'élancer souvent hors de l'humble sphère de la réalité? Messieurs, Dieu me garde d'oser restreindre en aucune manière le domaine de la poésie! Ce domaine est aussi grand que le monde; il est même, si vous le voulez, plus vaste encore. Il comprend tout ce qui est et ce qui peut être, et surtout tout ce qui doit être, car la poésie, c'est l'idéal, et, sous ce rapport, le poète peut s'élever en quelque sorte jus- qu'à l'infini, et de l'homme jusqu'à Dieu. Mais j'ai à examiner ici un écrivain qui a choisi pour sujet de ses chants épiques la conquête de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, et pour vous montrer que je crois être dans le vrai, en demandant au Tasse, tout poète qu'il est, une pein- ture fidèle et de l'Orient et des croisades, je vais essayer