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104                  DU SENTIMENT POÉ1IQCE

   La connaissance humaine dans ses voies diverses est obligée
 de traverser la nature pour arriver au vrai. Toutes les sciences
ont quelques questions à faire au monde extérieur, même celles
qui regardent uniquement l'idée pure comme l'Ontologie, la
Métaphysique, les Mathématiques ; celles qui s'occupent surtout
des manifestations et des lois de la vie portent plus spécialement
le nom de sciences naturelles ; l'industrie est une application de
ces sciences réglée par les Mathématiques. Les arts qui dans
la nature semblent ne considérer que la forme, doivent au senti-
ment de la vie tout ce que leurs œuvres ont d'émouvant, et à ce-
lui de l'idée, laquelle est le support de la forme et la règle de la
vie, tout ce que ces œuvres présentent d'enseignements moraux
et religieux.
   Tout genre d'étude qui ne considère dans la création qu'une
face isolée et abstraite, reste en dehors de notre sujet ; il appar-
tient à la métaphysique ou aux sciences naturelles, mais non à
la philosophie de l'art, à l'Esthétique. La notion esthétique de la
nature n'est pas une notion abstraite, c'est un sentiment émi-
nemment concert ; il s'adresse ou à l'universalité des choses, ou
à un objet dans sa totalité, dans tous ses attributs. Quoique
chaque artiste et chaque poète individuellement puisse se préoc-
cuper plus de la forme ou de l'idée ou. de la vie, le sentiment
en lui-même ne se distingue pas moins de tous les autres actes
de l'esprit vis-à-vis de la nature, en ce qu'il saisit à la fois en
elle tous ses attributs. Le poète voit en chaque objet l'idée qu'ex-
prime la forme, et la vie qui fait sortir la forme des régions invi-
sibles de l'idée.
   Voilà donc ce qu'est la nature au point de vue esthétique ; la
réunion des innombrables signes, des symboles vivants qui ma-
nifestent l'Être absolu. Dieu dans la création, tel est l'aliment éter-
nel de l'esprit humain, l'objet essentiel de l'art et de la science. Le
philosophe et le savant cherchent à pénétrer, à travers les phé-
nomènes matériels, dans les secrètes lois de la sagesse et de la
puissance invisible pour les dévoiler aux hommes sous le nom
de vérité ; ils possèdent à l'état réfléchi cette idée de la nature
représentative de Dieu ; l'artiste et le poète la possèdent à l'état