Une mémoire en construction

Présence gay et lesbienne dans les collections de la Bibliothèque

Après des siècles de mépris, d'ignorance et d'occultation, les gays et les lesbiennes existent enfin à Lyon dans l'espace public après avoir été ignorés autant par l'histoire tant locale et nationale que par les institutions de la République : musées, bibliothèques, archives... A ce titre, l'annonce faite, le 17 mai 2005, par Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon, de la création en France du premier Centre de ressources documentaires gays et lesbiennes à la Bibliothèque municipale de Lyon [note]Interview de Gérard Collomb dans Têtu, juillet-août 2005. traduit bien la volonté de notre ville d'être innovatrice en ce domaine. Avec la création en 2002 des Assises de la Mémoire Gay et Lesbienne, la publication des actes de ces Assises [note]« Mémoire en construction et état des lieux de l'archivage de la mémoire gay » (2003), « Les gays et lesbiennes ont-ils une histoire ? » (2004), « Gays et lesbiennes en Chine » (2005), « La déportation des homosexuels » (2006). et du bulletin Mémoire Gaie [note] Sous-titré « Bulletin d'information sur l'histoire des gays à Lyon », 13 numéros parus à ce jour depuis juin 2001., Lyon est devenue la première ville dans notre pays à avoir investi, avec autant de lisibilité, le champ de ce que l'on nomme aujourd'hui les « Gay & Lesbian Studies ». Le propos, à l'image des recherches qui s'organisent aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans, est de s'intéresser à la construction même des catégories de pensée, de ré-interroger le masculin et le féminin, de questionner l'homosexualité et l'hétérosexualité ainsi que la bisexualité, les amours, les époques, les transcriptions littéraires [note]Pour la France, Les Etudes gay et lesbiennes, ensemble de textes réunis par Didier Eribon suite au colloque organisé au Centre Georges-Pompidou, les 23 et 27 juin 1997, éditions du Centre Georges-Pompidou, collection Supplémentaires, 1998.. Qui aurait pu penser, il y a quelques années, que Lyon la coincée, Lyon la frileuse, Lyon la discrète, Lyon la bourgeoise pouvait assumer avec autant d'enthousiasme une telle curiosité ?

Deux gentilhommes s'entretenant devant un bosquet, gravure sur cuivre de Jean-Baptiste Genty, vers 1810 (BM Lyon, chomarat s.c.).

Il est vrai que, si nous touchons ici à l'intime, à la sphère privée, à la sexualité, parallèlement tout bouge, tout évolue et il suffit de parcourir un peu le monde pour voir que les principales villes d'Europe comme Amsterdam (Homodock), Barcelone (Casal Lambda), Berlin (Magnus Hirschfeld et Schwules Museum), Gand (Fonds Suzan Daniel) ou Rome (Archivio Massimo Consoli) disposent déjà de centres de documentation. L'originalité de la démarche lyonnaise par rapport à ces villes est qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une institution publique, à savoir une bibliothèque municipale très largement ouverte sur l'extérieur, afin d'éviter tout reproche de communautarisme ou de repli identitaire. L'exposition Follement Gay ! qui s'est tenue d'octobre à décembre 2005 [note]Parmi les nombreux articles de presse sur cette exposition : « Qui a peur de l'homosexualité ? » par Laurence Santantonios dans Livres Hebdo, n° 622, 18 novembre 2005. en a été la preuve, puisqu'elle a touché plus de 10 000 visiteurs. Elle a permis de montrer au grand public une sélection de documents du XVIe siècle à nos jours, en provenance du monde entier, conservés dans les silos de la Part-Dieu.

Pour les organisateurs, le but n'était pas de raconter l'histoire de l'homosexualité à travers le monde depuis Sodome et Gomorrhe, mais plus simplement d'insister sur les points forts des collections en rapport avec cette thématique. Tous les supports que l'on trouve à la Bibliothèque de Lyon étaient représentés : manuscrits, tracts, livres, périodiques, estampes, affiches, photographies, disques. Si la majorité des pièces provenait du fonds Chomarat, la plupart des collections de la maison était représentée : fonds Barbezat [note]Ce fonds comprend notamment les lettres manuscrites de Jean Genet, adressées à Olga et Marc Barbezat entre 1943 et 1963 et une photographie de Jean Genet par Edouard Boubat, prise à la gare de Perrache (BM Lyon, Chomarat Ms. 6904)., fonds Lacassagne, fonds chinois, fonds des jésuites, Fondation nationale de la Photographie. L'enjeu sociétal de Follement Gay ! était aussi important, car il s'agissait ni plus ni moins de restituer publiquement des modes de vie, des territoires, des lieux ou des pratiques qui avaient été systématiquement condamnés et confinés dans la sphère privée au nom de la morale et de la religion. C'est une histoire certes tragique faite de souffrances, de peurs et de pleurs mais, au nom de la connaissance, on se devait de la faire partager au plus grand nombre car, comme l'a parfaitement écrit Arlette Farge dans Le Goût de l'archive [note]Editions du Seuil, 1989, repris en 1997 dans la collection Points-Histoire chez le même éditeur. : On peut difficilement séparer l'histoire des hommes de celle des relations sociales et des antagonismes, on peut aussi affirmer que certains groupes sociaux en sont venus à exister du seul fait d'avoir lutté.

Pour mieux comprendre ce que peut être aujourd'hui cette mémoire gay et lesbienne en cours de construction, nous allons parcourir les différents thèmes abordés dans le cadre de l'exposition tout en insistant plus particulièrement sur des pièces significatives ayant un rapport avec Lyon.

Frontispice de Léonard Gaultier, dans Les Hermaphrodites, par Thomas Arthus, sieur d'embry Paris, s.n., 1605 (BM Lyon, Rés. 811565).

L'injure aux lèvres

Depuis des siècles, rarement une catégorie humaine aura été traitée avec autant de mépris que les homosexuel(le)s. Comment nommer l'autre - celui ou celle qui est différent(e) - si ce n'est par l'injure, afin de le rejeter définitivement des rangs d'une société hétéro normée ? Du sodomite à la tapette, de la tribade à la gouinasse, du bougre au sale pédé, de la gousse à la goudou, de la tantouze à l'enculé, on reste confondu par la violence du vocabulaire qui désigne l'homosexualité tant masculine que féminine.

Chaque époque a contribué à ce florilège en apportant son lot d'injures, et l'imagination dans ce domaine semble inépuisable [note]Voir le Dictionnaire de l'homophobie, publié sous la direction de Louis-Georges Tin, PUF, 2003.. Face à ce délire verbal et en quête d'un nouveau mot généraliste qui n'aurait plus de connotation médicale ou sexuelle, le terme « gay » est apparu récemment dans le langage courant. L'avantage de ce mot est à la fois sa dimension universelle (absence de traduction) et sa lecture positive. Mais n'oublions jamais que l'insulté(e), en quête permanente d'identité, subit depuis sa plus tendre enfance cette agression qui va le marquer toute sa vie. Enfin, l'injure et les propos homophobes sont les premières manifestations d'une haine qui finit, encore trop souvent, par se traduire en agressions et violences parfois mortelles ; l'absence de répression du verbal pouvant être perçue par l'agresseur homophobe ou lesbophobe comme la légitimation, voire l'encouragement, du passage à l'acte.

Pour illustrer notre propos, nous avons choisi de reproduire quelques extraits parmi les plus homophobes, d'un ouvrage publié à Lyon en 1964, sous un pseudonyme et à compte d'auteur, intitulé Les Passions acquises, quand le troisième sexe n'a pas de légende. Ce livre, dont on ne connaît aujourd'hui que deux exemplaires dans les bibliothèques publiques, l'un à Lyon [note]BM Lyon, Chomarat B 1201 ; de larges extraits ont été donnés dans Mémoire Gaie, n° 12, septembre 2004., l'autre à Paris (BnF), est intéressant à plus d'un titre. Son auteur, une certaine Germaine Mortemart - en réalité Germaine Ricard - fut la tenancière d'un des rares bars homosexuels lyonnais, « Le Tampico », rue Sébastien-Gryphe, au cours des années 1960-1970. Dans son ouvrage, l'auteur décrit en détail les lieux et les pratiques homosexuelles avec un mépris confondant, lorsque l'on sait que la plupart des personnes citées étaient précisément les clients de son bar.

Particulièrement visés par Germaine Ricard sont les homosexuels efféminés, traités de « folles » à cette époque. C'est cette « follitude » que revendiqueront plus tard les militants du FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) fondé à Paris en 1971, issu d'un rapprochement entre des féministes lesbiennes et des activistes gays comme Françoise d'Eaubonne ou Guy Hocquenghem [note]Le texte fondateur fut publié dans le n° 12 (13 avril 1971) du journal Tout (BM Lyon, Chomarat P 280) ; L'Antinorm, journal des groupes du FHAR, 1972-1973 (BM Lyon, Chomarat P 2695) et le Rapport contre la normalité, Champ libre, 1976..

En général, toutes les folles connaissent ce déséquilibre mental, faisant de l'amour un article monnayable ; avec l'âge, elles deviennent des déchets de l'humanité, allant grossir les centres de clochards qui, souvent, font la fortune de certain propriétaire des sans-abri. La place Bellecour, au mois de mai, devient le rendez-vous typique des folles, ayant la "Reine Mère" comme piédestal, la tasse aux fleurs, espérance de leurs désirs amoureux et pécuniaires. Qui est la "Reine Mère" : un intellectuel du milieu de la pédérastie, 45 ans, portant beau, s'entourant d'une cour de jeunes. Sa qualité de "Reine Mère" ne lui donne-t-elle pas tous les pouvoirs de direction, de conseils, sur la conduite de son sérail qu'il dirige d'une main de maître, connu de tous les pays étrangers, pédéraste ; il est le clou du clan lyonnais, l'étranger de passage sait où le trouver, désirant une rencontre ou un renseignement sur un éventuel rendez-vous avec un garçon, demande à la "Reine Mère" de consulter son fichier fort bien établi, voire même à satisfaire les goûts de tel ou tel garçon à présenter, sa liste est longue, depuis plus de 20 ans ses connaissances sont nombreuses, descriptions, détails sur le sujet, son registre est mieux tenu que celui de la police des moeurs ! Très intelligent, savant polyglotte, propriétaire de plusieurs immeubles, sa fortune lui permet de satisfaire tous ses caprices ; érudit, il sait plaire à son entourage, gardant avec fierté le standing du Monsieur bien né. Les pauvres folles qui l'entourent ont besoin de conseils, gamins inexpérimentés, voulant vivre leur vie à eux dans un perpétuel tourbillon d'amour et de changement, se faire remarquer du commun des autres, assidus du Café de la place Bellecour, voyant la tasse de la terrasse, toutes les allées et venues de la célèbre place, voulant imiter la femme, n'y réussissant que par un vulgaire déguisement ridicule et grotesque. Ce sont de pauvres garçons livrés trop tôt à eux-mêmes, par un manque de surveillance familial, espérant rencontrer le riche entreteneur, ne trouvant que difficilement la matérielle à leur entretien journalier. Le "tapin" masculin est peu rémunérateur à Lyon ; le Hall du Progrès donne quelquefois des rencontres de riches étrangers de passage qui, pour un dîner et quelques billets de mille, passent une soirée en attendant le départ de la ville. En général, tous ces jeunes garçons ne se rendent pas très bien compte de leur état moral, se faisant une gloire d'être pédérastes, voulant surtout corrompre tous les hommes normaux les plus sains... Page de titre des Confessions de J.J. Rousseau à Paris, [s.n.], 1796 (BM Lyon, Chomarat A 8812).

Marie-Thérèse Levasseur fut l'épouse de Jean-Jacques Rousseau. Les "Morceau inédits ou différences" concernent les passages supprimés, relatifs aux aventures de Rousseau avec plusieurs sodomites, à Lyon.

Ne jamais mentir

Il n'a jamais été évident pour un auteur, surtout dans les siècles passés, de dire son homosexualité et encore plus sa bisexualité. De nos jours, il y a presque une obligation, rappelée par certains groupes de pression, de ne jamais mentir par rapport à sa sexualité ! Jean-Jacques Rousseau en rédigeant, à partir de 1764, ses Confessions, parfaitement honnête avec lui-même, a décrit ses aventures homosexuelles survenues place Bellecour en 1740.

Elles ne figurent pas dans l'édition originale du livre, publiée en 1782 à Genève [note]Les Confessions de J.J. Rousseau suivies des Rêveries du Promeneur Solitaire, A Genève, 1782. 2 tomes in-8 (BM Lyon, Chomarat 6545)., car l'éditeur a volontairement supprimé ces passages qu'il jugeait scandaleux. Il faudra attendre 1796 et la publication à Paris d'une brochure rarissime intitulée Confessions de Jean-Jacques Rousseau : morceaux inédits ou différences qui se trouvent entre le manuscrit offert à la Convention par Thérèse Levasseur et les éditions de Rousseau [note] Noms qui ne sont indiqués que par des lettres initiales dans les éditions imprimées ; morceaux inédits ou différences qui se trouvent entre le manuscrit offert à la Convention par Thérèse Levasseur et les éditions de Rousseau, à Paris, 1796 (BM Lyon, Chomarat A 8812). pour connaître enfin le choc que fut pour Rousseau de coucher avec un abbé après avoir été abordé par un « taffetier » :

J'étais un soir assis en Bellecour après un très mince souper rêvant aux moyens de me tirer d'affaire quand un homme en bonnet vint s'asseoir à côté de moi ; cet homme avait l'air d'un de ces ouvriers en soie qu'on appelle à Lyon des taffetiers. Il m'adresse la parole, je lui réponds, voilà la conversation liée. A peine avions-nous causé un quart d'heure, que, toujours avec le même sang froid et sans changer de ton, il me propose de nous amuser de compagnie. J'attendais qu'il m'expliquât quel était cet amusement ; mais sans rien ajouter, il se mit en devoir de m'en donner l'exemple. Nous nous touchions presque, et la nuit n'était pas assez obscure pour m'empêcher de voir à quel exercice il se préparait. II n'en voulait point à ma personne, du moins rien n'annonçait cette intention, et le lieu ne l'eut pas favorisée. II ne voulait exactement comme il me l'avait dit, que s'amuser, et que je m'amusasse, chacun pour son compte, et cela lui paraissait si simple, qu'il n'avait pas même supposé qu'il ne me le parut pas comme à lui. Je fus si effrayé de cette impudence que sans lui répondre, je me levai précipitamment et me mis à fuir à toutes jambes, croyant avoir ce misérable à mes trousses. J'étais si troublé qu'au lieu de gagner mon logis par la rue Saint-Dominique, je courus du côté du quai, et ne m'arrêtai qu'au delà du pont de bois, aussi tremblant que si je venais de commettre un crime. J'étais sujet au même vice ; ce souvenir m'en guérit pour longtemps. A ce voyage-ci, j'eus une autre aventure à peu près du même genre, mais qui me mit en plus grand danger. Sentant mes espèces tirer à leur fin, j'en ménageais le chétif reste. Je prenais moins souvent des repas à mon auberge, et bientôt, je n'en pris plus du tout, pouvant pour cinq ou six sols à la taverne me rassasier tout aussi bien que je faisais là pour les vingt-cinq. N'y mangeant plus, je ne savais comment y aller coucher, non que j'y dusse grand-chose, mais j'avais honte d'occuper une chambre sans rien faire gagner à mon hôtesse. La saison était belle ; un soir qu'il faisait fort chaud, je me déterminai à passer la nuit dans la place, et déjà, je m'étais établi sur un banc, quand un Abbé qui passait, me voyant ainsi couché, s'approcha et me demanda si je n'avais point de gîte. Je lui avouai mon cas, il en parut touché, il s'assit à côté de moi, et nous causâmes. II parlait agréablement ; tout ce qu'il me dit me donna de lui la meilleure opinion du monde. Quand il me vit bien disposé, il me dit qu'il n'était pas logé au large, qu'il n'avait qu'une seule chambre ; mais qu'assurément, il ne me laisserait pas coucher ainsi dans la place, qu'il était tard pour me trouver un gîte et qu'il m'offrait pour cette nuit la moitié de son lit. J'accepte l'offre, espérant déjà me faire un ami qui pourrait m'être utile. Nous allons, il bat le fusil. Sa chambre me parut propre dans sa petitesse ; il m'en fit les honneurs fort poliment. II tira d'une armoire un pot de verre où étaient des cerises à l'eau de vie, nous en mangeâmes chacun deux, et nous fumes nous coucher. Cet homme avait les mêmes goûts que mon juif de l'hospice mais il ne les manifestait pas si brutalement. Soit que, sachant que je pouvais être entendu, il craignit de me forcer à me défendre, soit qu'en effet, il fut moins confirmé dans ses projets, il n'osa m'en proposer ouvertement l'exécution, et cherchait à m'émouvoir sans m'inquiéter. Plus instruit que la première fois, je compris bientôt son dessein, et j'en frémis ; ne sachant ni dans quelle maison ni entre les mains de qui j'étais, je craignis en faisant du bruit de le payer de ma vie. Je feignis d'ignorer ce qu'il me voulait, mais paraissant très importuné de ses caresses et très décidé à n'en pas endurer le progrès, je fis si bien qu'il fut obligé de se contenir. Alors je lui parlai avec toute la douceur et toute la fermeté dont j'étais capable et sans paraître rien soupçonner, je m'excusai de l'inquiétude que je lui avait montrée, sur mon ancienne aventure, que j'affectais de lui conter en termes si pleins de dégoût et d'horreur, que je lui fis, je crois, mal au coeur à lui-même, et qu'il renonça tout à fait à son sale dessein. Nous passâmes tranquillement le reste de la nuit. II me dit même beaucoup de choses très bonnes, très sensées, et ce n'était assurément pas un homme sans mérite, quoique ce fût un grand vilain [...]. Comme à Paris ni dans aucune ville, jamais rien ne m'est arrivé de semblable à ces deux aventures, il m'en est resté une impression peu avantageuse au peuple de Lyon, et j'ai toujours regardé cette ville comme celle de l'Europe où règne la plus affreuse corruption.
"Gay Thea dance au Palace" in The Palace Magazine, 1981 (BM Lyon, Chomarat P 2190).

Les années Palace

Evoluant de la nuit vers le jour, les lieux gays se démocratisent à la fin des années 1970. Nouveaux modes de vie, nouvelles formes de drague, des quartiers gays se constituent aux Etats-Unis comme dans les grandes capitales européennes. Mais la nuit reste, avec ses mystères, ses rencontres hasardeuses et ses risques, le territoire privilégié des gays. Si Paris offre une gamme importante d'établissements festifs, la province est très en retard et le voyage à Paris - notamment le week-end - va être le lot de nombreux gays et lesbiennes qui étouffent dans un conformisme suranné. La grande nouveauté de cette époque à jamais révolue, va être l'ouverture, dans la capitale, du Palace, un lieu de brassage de toutes les sexualités, de toutes les classes sociales et de toutes les tranches d'âge. Evoquer le Palace, c'est revenir sur les traces de l'une des plus légendaires boîtes de nuit au monde. Ce n'est pas seulement une histoire de souvenirs puisque, vingt-sept ans après sa création, l'établissement de Fabrice Eamer (1935-1983) reste dans les mémoires comme l'un des lieux les plus imaginatifs des soirées parisiennes. C'est en surfant sur la déferlante disco que Fabrice Eamer ouvre le Palace, le 1er mars 1978, sur les grands boulevards, avec un show de Grace Jones. S'y produiront les Village People, Gloria Gaynor, interprète immortelle de I Will Survive, les Bee Gees, Donna Summer... Tout le monde y est une star, jusqu'aux serveurs habillés en rouge et or par Thierry Mugler. En plus d'être la discothèque la plus courue du moment, élevée au rang de phénomène sociologique par Roland Barthes, c'est aussi le lieu de nombreuses fêtes (Kenzo, Karl Lagerfeld), ainsi que d'une salle de concerts. Le fonds Chomarat conserve de nombreux documents sur cette période : revue Le Palace [note]Le Palace Magazine, Paris, 1980-1983 (BM Lyon, Chomarat P 2190)., carte d'entrée créée par les artistes Pierre et Gilles [note]Carte de membre du Sept, du Pimm's et du Palace, Paris, 1982 (BM Lyon, Chomarat Est. 6356). , flyers, agenda, etc.

Tout en faisant la fête, les gays et les lesbiennes n'oublient pas leurs revendications. L'homosexualité à cette époque est toujours sévèrement réprimée et les agressions, parfois mortelles, sont monnaie courante. Dans la foulée de sa victoire aux élections présidentielles, le 10 mai 1981, François Mitterrand confie à Robert Badinter, son ministre de la Justice, le soin de faire abroger les nombreux textes homophobes encore en vigueur, dont certains datent du régime de Vichy ! De toutes ces luttes, une véritable « citoyenneté gay » commence à voir le jour, encouragée par la parution à Paris de plusieurs titres de presse militants comme Gai Pied en 1979 et Lesbia en 1983 ; le premier disparaîtra en 1992 après bien des vicissitudes alors que le second existe toujours aujourd'hui.

Le journal Gai Pied, entre 1979 et 1992, va consacrer plusieurs articles à Lyon. Le premier est publié dans le numéro de juin 1981 sous le titre « Lyon au confluent du désir ». Il est intéressant sur le plan historique car il reproduit plusieurs extraits relatifs aux lieux de rencontres que Marcel-Etienne Grancher avait recensé dans Lyon la Cendrée édité en 1937 [note]Publié en 1937 aux éditions Lugdunum (BM Lyon, 455512), en 1946 aux éditions Gutenberg, et en 1955 avec 8 illustrations hors-texte en couleur de Julien Pavil (BM Lyon, Rés. B 43798 et Chomarat B 1225 avec envoi de l'auteur).. On apprend ainsi l'existence d'un café situé à l'angle des rues d'Enghien et de Castries avant que la police en chasse les occupants ; ces derniers émigrèrent ensuite au Caveau savoyard, rue Sala, à côté du Tribunal militaire. Grancher précise perfidement que cet établissement leur était sans doute sympathique à cause de sa proximité avec Bellecour où un édicule très fréquenté se dressait sur la place face à l'Hôtel Royal, tout au bout de l'allée des Veuves... De nouveau, la police intervint et les homosexuels de l'époque choisirent comme nouveau lieu de rendez-vous le café de la Comète, cours Lafayette, à l'angle de la rue Garibaldi. Une fois de plus, ils furent délogés et ils se réunirent ensuite dans un établissement situé avenue Félix-Faure, en réalité un beau café, vaste, bien tenu, pourvu d'un comptoir en marbre et d'une terrasse dissimulée derrières d'honnêtes fusains....

Parmi les autres établissements en activité en 1936, il faut citer le Caprice Bar, montée de la Grande-Côte, lieu fort couru par « les folles » selon Grancher : Elles étaient toutes là, frisottées, papotantes, éblouissantes, charmantes... Brunes ou blondes, pommadées ou ondulées, maigres ou potelées, sourcils en arc, bouches peintes, paupières bleuies, ongles vernis, ondulant du torse sous des vestons trop ajustés, riant en fausset et buvant en tenant en l'air des auriculaires ornés de camées trop gros, "elles" se renvoyaient, comme au tennis, de menus propos.... Grancher parle également d'un bar tenu, rue d'Amboise, par un certain Gégé (qui fit l'objet d'une tentative d'assassinat) où l'on rencontre aussi bien l'honnête commerçant du quartier, venu se rafraîchir en compagnie d'un voyageur ou d'un livreur de passage, que des filles, des souteneurs et, bien entendu, des invertis, nom que l'on donnait à cette époque aux homosexuels. Parmi ceux-ci, Miss Cabinet, Mimi Félicie, la Prune et la Blédine, toutes des folles qui piaillent, rient, boivent et se disputent à petits cris....

"Chez Gégé", rue d'Amboise, illustration de Julien Pavil. Planche de couleurs extraite de l'édition de tête de Lyon la Cendrée, par Marcel-Etienne Granger, Cannes, Chez l'Auteur, 1955 (BM Lyon, Chomarat B 1225)

Quant au numéro de Gai Pied du 3 décembre 1983 [note]BM Lyon, Chomarat P 2021 ; reproduit dans Mémoire Gaie n° 10, septembre 2003., il accumule tous les clichés qui collent à la ville de Lyon, du brouillard à la gastronomie « pas chère pour les gays », des façades lépreuses de la Croix-Rousse à des « manifestants pacifistes » rencontrés place Bellecour. A travers toutes ces banalités, le journal cite plusieurs territoires de drague aujourd'hui disparus, et contribue, comme Grancher, à l'embryon d'une future topographie gay. Il en est ainsi du passage - carrelé à blanc - situé sous la gare de Perrache que Patrice Chéreau avait inclus en 1982 dans son film L'Homme blessé d'après le scénario d'Hervé Guibert. Notons que la Bibliothèque de Lyon conserve dans les collections de l'ancienne Fondation nationale de la Photographie une série de trois photographies d'Hervé Guibert dont un Autoportrait avec le chien Baba réalisé à Munich [note]BM Lyon, Chomarat P 0183 02140. et deux vues de Rome lorsqu'il était pensionnaire à la villa Médicis [note]BM Lyon, Chomarat P 0183 02141 et P 0183 02142.. Dans ce même article, Gai Pied recense trente-deux établissements gays (hôtels, saunas, pubs, bars, boîtes de nuit, restaurants...). Plus de vingt ans après, les cinq boîtes de nuit citées ont toutes fermé leur porte et parmi celles-ci les plus emblématiques, car les plus anciennes, comme le Mylord, quai Pierre-Scize ou la Petite Taverne, rue René-Leynaud.

Vivre, seulement vivre !

Le 21 février 1981, un jeune gay, Philippe Martinot, est assassiné dans les jardins des Tuileries à Paris. Le 4 avril suivant, lors de la Marche nationale pour les droits et libertés des homosexuels et des lesbiennes - ancêtre de la Gay Pride - le mot d'ordre est « Vivre, seulement vivre ! ». Etre réduits à revendiquer la vie pour les gays et les lesbiennes en dit long sur leur situation au quotidien. Depuis, s'ils ont obtenu certaines avancées, rien n'est définitivement acquis. Il suffit de rappeler le sort tragique de Sébastien Nouchet, brûlé vif à Noeux-les-Mines le 16 janvier 2004, après avoir vécu l'enfer pendant plusieurs années avec son compagnon, dans l'indifférence générale.

Si les injures, les agressions physiques, les discriminations en matière de logement ou de travail sont le lot quotidien des gays, l'apparition du sida, « le cancer gay » en juin 1981, va souder une communauté en mal d'unité. « Un cancer qui toucherait uniquement les homosexuels, non, ce serait trop beau pour être vrai, c'est à mourir de rire ! » commente aussitôt le philosophe Michel Foucault qui sera lui aussi emporté plus tard par cette maladie. On reproche souvent aux gays leur esprit communautaire, mais sans cet esprit et leur mobilisation, où en serions-nous aujourd'hui dans la lutte contre le Sida ? Où en serions-nous sans les associations créées à cet effet comme Aides ou Act Up ? Où en serions-nous sans le courage de personnes atteintes par la maladie, qui annoncèrent, avant de mourir, à la fois leur homosexualité et leur maladie, comme Jean-Paul Aron dans Le Nouvel Observateur du 30 octobre 1987 dont le fonds Chomarat conserve une émouvante édition publiée à petit nombre et dédicacée par l'auteur peu de temps avant sa disparition ?

Pendaison de deux jeunes homosexuels, Iran, juillet 2005 (d.r.).

L'épidémie de Sida transforma les années 1980 et 1990 en années de cendres. Un grand nombre de ceux qui avaient fait l'histoire de la libération gay, comme Guy Hocquenghem ou Clews Velay, disparurent durant la pandémie. Dans certaines familles gagnées par la honte et le non-dit, le Sida apparut avec une telle violence que certains gays furent enterrés à la sauvette, dans la plus grande discrétion comme au temps de la peste. Avec leur lutte exemplaire contre le Sida, les gays comprirent définitivement qu'ils ne pouvaient désormais compter que sur eux-mêmes pour que leurs revendications soient entendues par les pouvoirs publics.

A Lyon, l'ALS (Association de Lutte contre le Sida) est créée en 1985 sous l'impulsion du docteur Geneviève Retornaz, car il n'existe pas encore dans cette ville de structure extra- hospitalière destinée à aider les malades du Sida et à organiser des actions de prévention. Au début, l'association n'a pas de local et, chaque vendredi, les responsables, bénévoles et personnes touchées par le VIH se réunissent à la brasserie Concorde. Il faudra attendre 1987 pour que l'ALS puisse s'installer dans des locaux au 16 rue Pizay pour développer ses services d'accueil, de prévention et d'aide aux malades de plus en plus nombreux. En 1995, l'ALS renouvelle son partenariat avec Le Petit Paumé et participe à de nombreux projets tels que Ciné Santé 95 ou Sidapostrophe à Sup de Co Lyon. Aujourd'hui, la maladie a évolué et ne touche plus uniquement la population homosexuelle, au risque que cette dernière se démobilise et que les campagnes ciblées de prévention oublient cette communauté qui a payé le plus lourd tribut.

Continuons le combat

L'histoire de la mobilisation des homosexuels en France, depuis une trentaine d'années, doit à l'avenir montrer le chemin. Cette histoire qui s'accélère aujourd'hui avec les revendications du mariage et de l'homoparentalité était naguère impensable tant les préjugés étaient tenaces et les carcans politiques, judiciaires, médicaux et religieux présents. Les batailles successives pour la dépénalisation de l'homosexualité, la lutte contre le Sida ou pour le Pacs ont été autant de victoires face à l'obscurantisme d'une société qui se refusait à évoluer. Mais cette intégration en partie réussie des gays et des lesbiennes dans l'espace public ferme une époque plus qu'elle ne clôt le répertoire de la mobilisation homosexuelle.

Dans les années 1970, Lyon fut à la pointe de ces combats avec d'un côté le GLH (Groupe de Libération Homosexuel) créé officiellement le 24 septembre 1978 et, de l'autre, des groupes de lesbiennes réunies autour de la revue Quand les femmes s'aiment [note]BM Lyon, Chomarat P 2107. dont le premier numéro parut en avril de la même année :

Ça faisait un bon moment qu'au groupe on parlait de rencontres, de coordination, de lieux pour se dire, d'un moyen pour se connaître, lesbiennes d'un peu partout... On reçoit pas mal de courrier : des lesbiennes isolées dans leur coin qui sont prêtes à avaler des kilomètres pour venir au groupe, des groupes qui demandent des nouvelles du nôtre, des femmes "intéressées par notre existence" qui demandent qui nous sommes. Les réponses individuelles deviennent vite trop lourdes alors "et si on essayait un journal ?". On a essayé. Passé des soirées à trouver un titre, changé plusieurs fois de format, égaré, recommencé, repris à zéro des articles. Tout le groupe n'a pas participé à la rédaction ou à la fabrication du journal, même si, au départ, chacune trouvait important qu'il existe. Chaque article qui pouvait l'être, a été discuté par l'équipe (fluctuante) du journal puis rédigé par l'une d'entre nous et rediscuté ensuite, plus pour en clarifier certains points que pour en changer l'idée. Tiré à 750 exemplaires Quand les femmes s'aiment a été déposé dans quelques libraires à Lyon et ailleurs, et a été envoyé aux nombreuses adresses que nous avions sous la main. Nous n'avons pas la prétention ni les moyens de faire un journal national, encore moins le journal de toutes les lesbiennes mais pas non plus envie qu'il ne soit que celui de quelques-unes, fermé aux contributions qui viendraient d'ailleurs que du groupe de Lyon...

De son côté le GLH de Lyon publia Interlopes [note]BM Lyon, 953346 et Chomarat P 1982., une revue dirigée par Pierre Berthier, qui prit naissance en juin 1977 au Cinématographe, cours Suchet, lors d'une rencontre autour de la projection de films sur l'homosexualité. Elle avait été précédée, un an auparavant, par la rédaction d'un tract, daté du 17 mai 1976, qui réunissait plusieurs textes émanant de militants lyonnais, politiques ou syndicaux, « qui sont aussi homosexuels » rassemblés sous le générique d'antinormalité. Voici l'un d'eux :

Etre homosexuel, ça veut dire la possibilité de tout foutre en l'air pour que rien ne rentre dans l'ordre. La société s'exorcise en condamnant des individus. Il y a des combats importants à mener sur les lieux de travail ; dans le syndicalisme, chez les militants, des changements à vivre et à mettre en place. Etre homosexuel : pas un problème en soi, mais un moyen de plus pour lutter car j'ai des désirs qui bouleversent les bonnes normes, les règles, car je n'ai pas de contraintes d'assimilation, devenir normal, comme les autres, dans une société telle qu'elle est car je n'ai pas de règles pour l'amour, le plaisir. Le "couple" ne m'intéresse pas car l'injustice, le racisme, la répression policière me touchent de près, car j'ai l'expérience de la solidarité, la disponibilité pour des créations collectives, le goût de la fête, et la possibilité de détruire les barrières de toutes sortes...

Le dernier des cinq numéros d'Interlopes, daté de 1979 et titré « En être », est en réalité une affiche pliée en quatre qui reproduit une sélection d'injures à destination des gays et des lesbiennes. Il s'achève par une injonction : Incendions les ghettos des langages, déchirons les oripeaux du désir pour qu'enfin apparaisse puis disparaisse la réalité de nos misères. Au début des années 1980, le GILH (Groupe d'Information et de Libération des Homosexuel(les)s) prit ensuite la succession du GLH, animé par un certain Paquita Gambasse... Parmi les activités du GILH, il faut citer la solidarité contre les agressions avec des conseils pratiques « face aux loubards et aux fascistes » :

Le GLH de Lyon à ma marche nationale à Paris le 4 avril 1981, photographie Michel Chomarat.

L'idéal est de se regrouper et de leur ficher une raclée, fuir sans regarder derrière soi serait de la non assistance à homo en danger ! D'ailleurs, le seul fait d'avoir une attitude ferme suffit bien souvent à dégonfler ces baudruches. Si on ne se sent ni le courage ni la force d'affronter physiquement les agresseurs, il est plus correct, vis-à-vis de ceux et celles qui trinquent, de se regrouper pour limiter les dégâts, éviter qu'il y ait d'autres victimes et secourir les blessés. Si cela est possible, il faut prévenir la police, souvent les policiers s'en foutent et ne font rien mais il arrive qu'ils mettent en fuite, voire qu'ils arrêtent les agresseurs. S'ils refusent d'intervenir, relevez les numéros et prévenez le GILH à Lyon...

En dehors de ces différents mouvements qui ont tous disparu, il faut aussi citer l'une des plus anciennes associations homosexuelles de France, ARIS (Accueil Rencontre Informations Service) fondée en décembre 1981 par Michel Branchu, dissident du mouvement Arcadie, qui va fêter son 25e anniversaire à la fin de l'année. Domiciliée à sa création dans le quartier des pentes de la Croix-Rousse, rue Saint-Polycarpe, elle a emménagé en décembre 2004 dans de nouveaux locaux, rue des Capucins. A l'occasion de son déménagement, ARIS a procédé au tri de ses archives et les a confiées au fonds Chomarat, leur classement est en cours. Cet ensemble de plusieurs milliers de références qui comprend, entre autres, de nombreux périodiques français et étrangers et des dossiers thématiques sera une source de tout premier plan pour étudier la vie et les combats des homosexuels à la fin du XXe siècle.

Aujourd'hui, face à une communauté gay et lesbienne en perpétuelle construction, des homosexuels aspirent à plus d'autonomie et veulent préserver leur indépendance. On voit même que certains refusent tout cadre légal et revendiquent à nouveau un statut de marginal social et devant cette normalisation, des gays et des lesbiennes protestent même au nom de leur singularité. Entre intégration et marginalité, la question homo reste donc posée et certains gays continueront à effectuer des allers-retours entre ce souci d'intégration universaliste : « je suis comme les autres » et une tentation d'affirmation identitaire pour montrer leur singularité : « je suis différent des autres ».

Gay Pride, juin 2004, photographie par Michel Chomarat

Mais la France n'est pas le Monde, les acquis obtenus ne doivent pas nous faire oublier la situation dramatique des gays et des lesbiennes dans de nombreux pays où ils sont soit totalement rejetés de la société, soit condamnés à la mort, comme en Iran ou en Arabie Saoudite. La mondialisation souvent décriée est une chance pour qu'une solidarité planétaire s'exprime en leur faveur. Cette prise de conscience est en cours mais elle reste à mettre en pratique ; ce sera sans doute l'un des enjeux majeurs des années à venir pour les futures générations de gays et de lesbiennes.

Une planète toute en couleurs

La couleur joue depuis longtemps un rôle important dans la façon dont la communauté gay exprime sa fierté. Dans l'Angleterre victorienne, par exemple, la couleur verte était déjà associée à l'homosexualité. La couleur pourpre (ou plutôt lavande) a été popularisée comme symbole de fierté à la fin des années 1960. Et bien sûr, il y a eu le triangle rose. Bien qu'il ait d'abord été utilisé dans l'Allemagne nazie pour identifier les homosexuels masculins dans les camps de concentration, le triangle rose n'a été largement utilisé comme symbole gay qu'au début des années 1980, notamment par Act Up. Mais le symbole le plus haut en couleurs est le « Rainbow Flag » et son arc-en-ciel de six couleurs : rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet, qui représente bien, aujourd'hui, la diversité des gays et des lesbiennes dans le monde.

Le premier « Rainbow Flag » a été conçu en 1978 par Gilbert Baker, un artiste de San Francisco, qui répondait à l'appel d'un militant local pour un symbole communautaire. S'inspirant des cinq bandes du « Drapeau des Amériques hispanophones », Baker conçut d'abord un drapeau à huit bandes qui correspondaient pour lui à la sexualité, la vie, la guérison, le soleil, la nature, l'art, l'harmonie et l'esprit. Baker avait teint et cousu lui-même les tissus du premier drapeau à la Betsy Ross. Très vite Baker prit contact avec la San Francisco's Paramount Flag Company pour commercialiser son « drapeau gay ». Malheureusement, les couleurs étaient teintes à la main, et comme la couleur « rose vif » n'était pas commercialisée, la production de la version à huit bandes s'avéra impossible. Le drapeau fut donc réduit à sept bandes. En novembre 1978, la communauté gay de San Francisco fut frappée par l'assassinat de Harvey Milk, le premier dirigeant ouvertement gay de la ville. Pour montrer la force et la solidarité de cette communauté à la suite de cette tragédie, le comité de la Gay Pride de 1979 décida d'utiliser le drapeau de Baker. Il supprima la bande indigo afin de pouvoir répartir également les couleurs sur le trajet de la marche : trois couleurs d'un côté de la rue et trois de l'autre. Bientôt les six couleurs furent intégrées dans la version à six bandes qui fut popularisée et qui est aujourd'hui reconnue par l'International Congress of Flag Makers. Le « Rainbow Flag » que l'on connaît aujourd'hui dans le monde entier était né.

Couverture de Sodome, par Henry d'Argis Paris, chez Eugène Bergeretto, [1888] (BM Lyon, Chomarat A 9970).

A Lyon, c'est sous ces couleurs que chaque année depuis 1996 (15 juin), est organisée la Lesbian & Gay Pride (LGP). La première édition, à l'initiative du Centre Gay et Lesbien, rassembla, sous le soleil et beaucoup de musique, un millier de personnes entre la place Jean-Macé et l'Hôtel de Ville de Lyon. C'est aujourd'hui devenu le rendez-vous annuel pour la communauté gay et lesbienne qui attire plusieurs milliers de personnes de toute la région, dont plusieurs élus. Pour arriver à cette lisibilité dans l'espace public, il a fallu beaucoup d'énergie et de courage ; rappelons qu'avant 1996, la seule possibilité pour cette communauté d'exister publiquement était de se joindre en queue du traditionnel défilé du 1er Mai, séparée par un solide cordon de sécurité des différents syndicats et partis politiques. Depuis, en octobre dernier, la Ville de Lyon a été invitée officiellement par les organisateurs du salon gay Rainbow Attitude à Paris en vue de présenter son travail sur l'archivage de la mémoire gay et lesbienne. C'est dire que cette accélération de l'histoire ces trente dernières années est bien équivalente à plusieurs siècles d'obscurantisme !