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    Le patrimoine n'est pas donné, il se construit

    La présence dans ce numéro d'un article sur la « mémoire en construction » peut surprendre, d'autant plus qu'il s'agit de mémoire gay !

    Habituellement, une revue comme la nôtre s'attache à mettre en lumière divers aspects du patrimoine constitué, qu'il s'agisse des traces significatives du passé ou d'oeuvres contemporaines (photographies, livres d'artistes) qui, d'emblée, et non sans ambiguïté parfois, se pensent déjà comme le patrimoine de demain. Autrement dit, la plupart du temps, la nature patrimoniale de l'objet étudié ne fait pas problème et sa présentation relève de ce que l'on appelle souvent une mise en valeur, laquelle ne fait que consacrer un peu plus l'objet.

    Dans le cas présent, il s'agit, au contraire, de faire advenir comme patrimoine - c'est à dire comme fait de mémoire digne d'être retenu et transmis- ce qui, jusqu'à présent, échappait justement à cette catégorie. En effet, étant marginale et clandestine, la réalité sociétale de l'homosexualité est longtemps demeurée impensée et peu prise en compte, du moins en tant que telle, par les instances de fixation et de légitimation de la mémoire. Aussi l'ambition de la Bibliothèque municipale de Lyon ne peut-elle se limiter à revisiter, à travers le prisme de cette nouvelle thématique, des documents déjà conservés. Il lui faut aussi collecter des traces auxquelles on n'aurait jamais pensé auparavant.

    Il est évident qu'une telle démarche peut susciter des critiques. Ne contribue-t-elle pas, diront certains, à une confusion des genres entre mémoire et histoire ? Ne met-elle pas en péril la neutralité scientifique de la Bibliothèque en adoptant, ne serait-ce que provisoirement, le point de vue d'une « communauté » ? A cela que répondre si ce n'est qu'au moment de leur constitution, les différentes strates et les différents aspects de la mémoire culturelle ont toujours reflété les intérêts saillants du moment et qu'il est grand temps de prendre en compte les problématiques émergentes d'aujourd'hui ? Le travail des historiens à venir en dépend.