19 avril |
Léo Taxil révèle à la foule venu voir enfin la fameuse
Diana Vaughan, que l'édifiant récit de la conversion de la jeune femme n'était qu'un canular, Mlle Vaughan n'étant que le fruit de son imagination. L'histoire de Diana Vaughan, ancienne égérie d'une loge maçonnique pratiquant le culte de Satan, sauvée par une prière à Jeanne d'Arc avait passionnée le public.
Les journaux religieux débordent depuis quelques jours d'une indignation véhémente contre M. Léo Taxil, qui est à la vérité un assez drôle de corps. Leurs excommunications sont motivées par une aventure récente, dont le comique n'est pas médiocre et qu'il serait fâcheux de passer sous silence. On sait que M. Léo Taxil a débuté comme fabricant de brochures contre l'Eglise. Il s'était fait une spécialité fructueuse de récits, où le Sacerdoce, le culte et le Pape étaient représentés sous des apparences horrifiques, accusés des crimes les plus sanglants et les plus obscènes.
Ce petit commerce fit d'excellentes affaires pendant quelques années. Puis le débit de la marchandise anticléricale devint plus difficile. Menacé de fermer boutique, M. Léo Taxil n'hésita pas : il devint brusquement écrivain catholique, comme s'il avait été touché de la grâce, et de la même plume dont il s'était si bien servi contre l'Eglise il se mit à pondre inépuisablement des libelles en sa faveur. (...)
Alors, l'enthousiasme des nouveaux amis du pamphlétaire ne connut plus de bornes. Léo Taxil et Diana Vaughan furent célèbres dans tout l'univers catholique qui lisait avec passion les
Mémoires d'une ex-palladiste. Le cardinal Parrocchi, haut fonctionnaire du Vatican, écrit à la « chère fille en N.-S. », pour lui envoyer la bénédiction du Pape, vivement ému par cette magnifique conversion. L'évêque de Grenoble joue sa partie dans le concert. C'est dans toute la chrétienté, parmi les gens considérables comme parmi les simples ouailles, un immense Laudate...
Cependant personne n'avait jamais vu Diana Vaughan. Beaucoup avaient lu ses lettres, contemplé ses photographies, mais un mystère planait sur son existence. On voulut la voir en chair et en os. Léo Taxil se déroba. Des soupçons se firent jour peu à peu sur l'existence réelle de l'intéressante Diana. Certains journaux se répandirent en articles sceptiques. D'autres crièrent nettement à l'imposture. Et enfin, Léo Taxil fut mis en demeure de montrer Mlle Vaughan en personne.
Il s'est exécuté mardi dernier, mais d'une façon bien inattendue, devant une réunion publique de trois cents personnes : De Diana Vaughan, a-t-il dit en substance, il n'y en a pas. C'est moi ! Je suis Marseillais, donc fumiste. J'ai déjà inventé l'invasion du port de Marseille par une bande de requins, puis la fameuse cité lacustre sous le lac de Genève, qui émut si fort les savants. J'ai voulu terminer ma carrière par un bateau plus monumental encore que toutes mes fumisteries précédentes, et c'est ainsi que j'ai créé Diana Vaughan, avec le concours de l'Eglise, que je remercie de m'avoir aidé dans cette belle mystification. (
Le
Progrès Illustré, 25 avril 1897)
|
4 mai |
La catastrophe du Bazar de la Charité
Amas de décombres et de corps carbonisés
La panique
L'incendie du Bazar de la Charité fait plus de cent morts : c'est une explosion d'une lampe d'un appareil de projection utilisé pour une représentation cinématographique qui regroupait plus de 1200 personnes qui est à l'origine de l'incendie. Les victimes seront célébrées en grande pompe à Notre-Dame le 9 mai suivant.
Après l'incendie du Bazar de la Charité
Tandis qu'infatigable en ses élans sublimes
L'amour se prodiguait pour le déshérité
Le sort moissonne et jette en ses brûlants abîmes
Ceux qu'eut dû protéger ton aile, ô Charité !
D'un ouragan de feu les coups illégitimes
Frappent sans choix, noblesse, esprit, vertu, beauté ;
La mort confond les deuils et met sur les victimes
Le sceau de son horrible et sombre égalité.
Deux anges apparus dans ce désastre immense,
Qui trop vite oublié tôt ou tard recommence.
S'élèvent radieux de ce brasier fumant.
L'âme en eux recouvrant sa force anéantie.
L'espoir aux coeurs navrés renaît obscurément
L'un a nom Dévouement et l'autre Sympathie.
Et BEAUVERIE. (
Le
Passe-temps, 16 mai 1897)
|
23 août |
Visite officielle du président de la république
Félix Faure en Russie, où le président français est reçu avec faste par le tsar Nicolas et la tsarine Alix. Cette visite, après celle des souverains russes en France l'année précédente entérine le succès de l'alliance franco-russe. |
30 septembre |
Mort de soeur Thérèse au carmel de Lisieux. |
14 octobre |
Après un premier vol de quelques mètres en 1890,
Clément Ader récidive à bord de son Avion et quitte le sol sur 300 mètres avant de s'écraser.
N'avez-vous jamais rêvé de pouvoir voler comme l'hirondelle, - sillonnant le bleu chemin de l'air, dirait Théophile Gautier ? N'avez-vous point répété l'air mélancolique de la Salammbô de Reyer : Qui me donnera, colombes, vos ailes ?
Dans vos songes, parfois n'avez-vous pas goûté l'exquise sensation du « plus léger que l'air », d'une envolée impossible dans l'éther, au milieu des plaines vierges de l'empyrée, sous le regard des chastes étoiles ?
Voici que cette chimérique illusion revêt une apparence de réalité, grâce à M.
Otto Lilienthal, un savant allemand, qui s'est construit des ailes de chauve-souris de quinze mètres carrés, et qui a pu, prenant son élan du sommet d'un grand rocher, planer horizontalement pendant près de trois cents mètres et atteindre doucement le sol.
Il y a loin, sans doute, de cette descente pataude aux coups d'ailes hardis dont la vision nous hante. C'est pourtant un commencement. Souvenez-vous des humbles origines de la bicyclette. Qui sait si l'aviation n'aura pas un essor aussi rapide ? Mais peut-être vaut-il mieux que l'humanité demeure rampante sur sa glèbe. Elle est si divisée contre elle-même qu'elle porterait la guerre jusque dans la paix des cieux. Et l'homme, sans doute, commettrait le suprême sacrilège d'ensanglanter l'azur... (
Le
Progrès Illustré, 21 janvier 1894)
|
Novembre |
Mlle Jeanne Chauvin, docteur en droit, demande a être inscrit au barreau de Paris : elle serait la première femme en France à exercer la profession d'avocat. |
15 novembre |
Le frère du capitaine
Dreyfus accuse publiquement le commandant
Esterhazy d'être le véritable auteur du bordereau qui a est à l'origine de la condamnation de Dreyfus. |
2 décembre |
Dans l'
Aurore,
Clémenceau, l'ancien député du Var, dénonce la protection dont bénéficie le commandant
Esterhazy dans l'
Affaire Dreyfus. Il a de bonnes raisons de compatir au sort du militaire : quatre ans plus tôt,
Clémenceau, accusé lui aussi, sur la base de faux documents, d'être un agent au service des Britanniques a du quitter son siège de député, quand bien même la justice a reconnu son innocence. |
7 décembre |
Auguste Scheurer-Kestener, devant ses collègues du sénat, demande au ministre de la guerre les raisons du refus de la révision du procès de l'ex-capitaine
Dreyfus. Le chef du service de renseignement, le lieutenant colonel Picquart, qui avait établi que l'auteur du bordereau était bien Esterhazy a été muté dans le sud tunisien. Si les présomptions contre Dreyfus sont de plus en plus sujette à caution, une partie de l'opinion publique à fait de sa culpabilité le fer de lance de l'antisémitisme nationale. |
27 décembre |
La première représentation de
Cyrano de Bergerac d'
Edmond Rostand remporte un vif succès.
Constant Coquelin, qui en interprète le rôle titre, fait entrer ce soir là la « tirade du nez » dans la légende.
En revanche, si les
Mauvais Bergers vous laissent une impression de lourd et vain cauchemar,
Cyrano de Bergerac vous ensoleille l'âme. Après tant d'élucubrations obscures, angoissantes, symboliques, funèbres, par où se sont appesantis sur nous tous les Mirbeau contemporains, c'est comme une bouffée d'air frais et limpide dans une atmosphère empestée.
La réaction a paru si bienfaisante qu'on a crié au chef-d'oeuvre ; quelques-uns ont annoncé l'avènement d'un nouveau
Victor Hugo. C'est trop. M.
Rostand nous a seulement ramenés des brumes glaciales de Norvège au clair et tiède pays de France ; il a fallu son
Cyrano pour faire comprendre à des Français que ce qui leur convient le mieux, c'est encore la langue française et ce sont aussi les idées françaises. Service signalé rendu à notre temps !
Si M.
Rostand n'est pas tout à fait
Victor Hugo, il vaut mieux que
Banville, et le rang n'est certes pas médiocre. Sa pièce est toute fantaisie, belle humeur, grâce ironique et légère, lyrisme étincelant, poésie chevaleresque faite de courage, d'amour et d'illusions. Cyrano résume à la fois d'Artagnan et Gringoire. Le public retrouve en lui une ancienne et charmante connaissance, galamment habillée de neuf, disant sur de vieux airs des paroles exquises et nouvelles. Aussi on lui fait fête comme à un ami reconquis...
Je n'ai pas parlé de
Sarah dans les
Mauvais Bergers. Hélas ! elle n'y mérite guère que le silence. Mais
Coquelin est éblouissant dans
Cyrano. Quatorze cents vers, et un rôle de mousquetaire héroïque et sentimental ! C'était le rêve de
Coquelin. Il ne mourra donc pas sans l'avoir pleinement réalisé... (
Le
Progrès Illustré, 16 janvier 1898)
|