Témoin d'une époque - 1896 à 1900 - l'affaire Dreyfus et l'antisémitisme

1896

24 février M. Henri Becquerelprix des sciences physiquesA l'Académie des sciences, Henri Becquerel présente ses découvertes sur la radioactivité de l'uranium. C'est en faisant des recherches sur la fluorescence des sels d'uranium qu'il découvre accidentellement la radioactivité.

M. Becquerel, qui appartient à une famille de savants, est membre de l'Académie des sciences, professeur au Muséum d'histoire naturelle et à l'Ecole polytechnique. C'est à lui que la science doit la découverte des propriétés singulières d'un métal déjà connu : l'uranium. L'uranium et ses composés émettent spontanément des radiations qui, tels les rayons de Roentgen, ont la propriété de traverser certains métaux, d'influencer une plaque photographique à travers un papier noir et de rendre l'air conducteur de l'électricité. Mais ce qui distingue les rayons uraniques des rayons de Roentgen et de toutes les manifestations analogues, c'est leur spontanéité : d'une façon continue l'uranium rayonne de l'énergie, en quantité très faible sans doute, mais sans l'intervention d'aucune force extérieure.

( Le Progrès Illustré, 27 décembre 1903)
Mars Le sénat repousse le projet d' impôt progressif sur le revenu défendu par le ministre des finances (et futur président de la République) Paul Doumer.
Quand ils iront en Normandie - Pour imposer le revenu, Il leur faudra du génie Pour dégager cet inconnu. Voulez-vous me dire mon bonnemine Combien vous vous faites par an ? Par an... Ça dépend de la pomme; Ce n'est pas riche un paysan. A la fin des fins tu m'assommes. J'écris : tu te fais mille écus... Mille écus ! il faudrait des pommes Pour donner de tels revenus ! Après cela tout à votre aise : Ecrivez ce qu'il vous plaira. Mais de Bernay jusqu'à Falaise S'il faut plaider l'on plaidera. Nous vous montrerons qui nous sommes ; Et quoiqu'on n'en ait pas des tas. Il faudrait n'avoir pas de pommes Pour ne pas prendre d'avocats ! ( Le Progrès Illustré, 22 juillet 1894)
Avril Pierre de Coubertin restaure les jeux olympiques. Son projet a été annoncé le 25 novembre 1892, mais il faudra attendre presque deux ans avant qu'il fonde le Comité International Olympique, le 23 juin 1894, à Paris. Ces premiers jeux olympiques rénovés se déroulent symboliqument à Athènes et regroupent 245 participants originaires de 15 nations (Angleterre, Etats-Unis, mais aussi d'autres nations, notamment la Jamaïque, la Nouvelle-Zélande ou la Suède)
Mai Succès socialiste aux élections municipales.
16 juillet Edmond de Goncourt crée par testament le prix Goncourt. On retiendra surtout de l'oeuvre littéraire des Goncourt leur Journal, ensemble de notes généralement brèves, prises au jour le jour, qui restent un témoignage intéressant sur la fin du XIXe siècle.
30 septembre L'Italie signe avec la France une convention par laquelle elle reconnait le protectorat français sur la Tunisie.
5 octobre Pose de la première pierre du pont Alexandre IIIVisite officielle du tsar à Paris Nicolas II, empereur de Russie Alexandra Feodorowna, impératrice de Russie L'arrivée des souverains russes à Paris Visite officielle du tsar Nicolas II pour la semaine franco-russe. Il posera la première pierre du pont Alexandre III à Paris.

Ah ! si le Czar n'était pas victime résignée et obligée de l'étiquette, si sa grandeur ne l'attachait pas au rivage, je suis bien sûr qu'il eût voulu un autre programme pour son voyage de noces. Avez-vous lu, dans le Progrès, l'histoire charmante, la délicieuse idylle sentimentale de son mariage ? Car il a fait un mariage d'amour cet arbitre tout-puissant de la politique du monde, qui semblait voué d'avance à quelque union d'intérêt international imposée par la raison d'Etat. Séparé par la différence des religions de la princesse de Hesse, qu'il aimait dès l'adolescence pour sa beauté, sa grâce et sa distinction, il sut la conquérir à force de tendresse persévérante, au bout de quatre années d'amour fidèle, malgré l'éloignement, les résistances et les obstacles.

Ce roman si sincère, si frais, si humain, vécu par un être que la grandeur souveraine de sa situation fait exceptionnel, nous dévoile son coeur. Il est resté homme, bien qu'il soit séparé de l'humanité par la toute-puissance, par une élévation sans rivale et formidable. Il est jeune, il est bon, il aime sa femme. Comme il voudrait pouvoir dépouiller pendant quelques jours l'appareil impérial, s'affranchir des pompes solennelles, et vivre un peu pour lui et pour Elle, dans ce divin Paris, si délicieux quand on est deux amoureux ! Que ne donnerait-il pas pour se promener librement sur le boulevard, sa femme à son bras, comme un couple bourgeois en lune de miel ! Et quelle exquise soirée, s'il pouvait aller à deux dans une baignoire des Variétés ou du Gymnase, au lieu du gala et du demi-gala de l'Opéra et de la Comédie dans les somptueuses loges organisées par le Protocole !

Il semble que pour rester vraiment Français et faire preuve d'une galante hospitalité ingénieuse comme à notre ordinaire quand on ne nous guinde pas, il conviendrait de ne pas trop encombrer notre visiteur par des réjouissances dans le genre des séances de la Cour de cassation ou de l'Académie.

( Le Progrès Illustré, 04 octobre 1896)

Personne ne s'y trompe : le but de la tournée du Czar c'était la France ; c'est que là seulement deux peuples, deux forces, l'âme slave et l'àme gauloise, se sont fiancés pour l'avenir.

( Le Progrès Illustré, 11 octobre 1896)
15 octobre Le gouverneur de Tamatave et sa femmel'expédition de MadagascarLe général Gallieni chargé d'appliquer l'annexion de Madagascar décidée le 6 août, fait fusiller deux membres de la cour de la reine Ranavalona coupables d'opposition à la politique française.

Le général Gallieni a débuté là-bas par démolir toutes les intrigues de la reine et de son entourage, en faisant fusiller deux des principaux rebelles, dont l'un était tout simplement l'oncle de Sa Majesté. Comme entrée en relations, on conviendra que c'était plutôt raide. Ce qui n'a pas empêché le représentant de la France de couvrir de fleurs la souveraine des Hovas. Je connais, madame, a-t-il dit, l'amour dont vous entoure votre peuple, le prestige que la dignité de votre conduite, voire haute intelligence et vos vertus exercent sur lui...

Ceci est d'un délicieux ironiste. Le général nest pas seulement un esprit résolu et décisif, c'est encore un pince-sans rire supérieur. Il lui a fallu une dose singulière de sang-froid pour ne pas se tordre en débitant ce compliment audacieux... Ce à quoi 4a reine a répondu sur le même ton. Le général s'était présenté comme devant être « le père de tous les Malgaches ». C'était peut-être beaucoup qu'une aussi vaste paternité. Ranavalo pourtant ne l'a pas mise en doute. Bien mieux, elle y a ajouté encore la maternité. De sa royale bouche elle laissa tomber ces paroles mémorables : Vous avez dit, général, que vous traiteriez les Malgaches comme vos enfants; moi je vous dis à mon tour que les Malgaches vous considéreront comme leur père et leur mère.

( Le Progrès Illustré, 15 novembre 1896)
8 décembre Les inondations à Lyon Rue de l'Antiquaille. Vue sur Notre-Dame de Fourvière depuis la montée de l'Antiquaille. Inauguration de la basilique Notre-Dame de Fourvière . D'abord prévu le 8 septembre, fête de la nativité, l'inauguration est repoussée à cause des inondations causées par la crue des deux fleuves.

A Lyon, nous venons, sans exagération, d'être victimes d'un véritable déluge. Et on a pu croire que l'heure était venue de préparer l'arche du bon père Noé. Non seulement le Rhône et la Saône ont submergé leurs bords au point de transformer toute la banlieue en un vaste lac dont les maisons ne sont plus que les ilôts, mais aussi les infiltrations des deux fleuves ont envahi jusqu'au centre de la ville. Il y a eu des rues transformées en lagunes où l'on ne communiquait qu'en bateau. Avec un peu d'imagination et beaucoup de soleil, on aurait pu se croire à Venise.

Les caves lyonnaises, et il y en a d'infmimcnt respectables, n'ont même pas été épargnées par le fléau. Pour boire du vin à leur diner, il a fallu que les bons bourgeois se livrassent à d'ingénieuses pêches à la ligne afin de capturer leur brouilly ou leur corton. Les théâtres eux-mêmes ont vu leurs chandelles éteintes par l'extinction des foyers électriques, noyés dans les usines centrales.

Il faudrait remonter jusqu'en 1856, à l'époque des inondations historiques, pour retrouver nos fleuves aussi démesurément grossis. A vrai dire, nous sommes mieux préservés qu'autrefois contre leurs caprices dangereux. Les admirables quais du Rhône et de la Saône entourent la ville d'une double ceinture qui empêche le retour des grandes catastrophes du passé. Sans eux, tout eût été à craindre avec les étiages atteints par les eaux. Mais, grâce à ces solides murailles de pierre et de ciment, il n'y a eu à déplorer que des accidents isolés, des dégâts matériels plus ou moins notables et non plus d'immenses désastres. La science, on le voit, ne fait pas toujours banqueroute. Et dans sa lutte incessante avec les forces de la nature, elle parvient peu à peu à les dompter.

( Le Progrès Illustré, 08 novembre 1896)
10 décembre La représentation unique de la comédie satirique Ubu-roi de Jarry provoque un énorme scandale.
24 décembre Anatole France est reçu à l' Académie française.

L'année en chef-d'oeuvre

  1. Georges Méliès : Le manoir du Diable

1897

19 avril Léo Taxil révèle à la foule venu voir enfin la fameuse Diana Vaughan, que l'édifiant récit de la conversion de la jeune femme n'était qu'un canular, Mlle Vaughan n'étant que le fruit de son imagination. L'histoire de Diana Vaughan, ancienne égérie d'une loge maçonnique pratiquant le culte de Satan, sauvée par une prière à Jeanne d'Arc avait passionnée le public.

Les journaux religieux débordent depuis quelques jours d'une indignation véhémente contre M. Léo Taxil, qui est à la vérité un assez drôle de corps. Leurs excommunications sont motivées par une aventure récente, dont le comique n'est pas médiocre et qu'il serait fâcheux de passer sous silence. On sait que M. Léo Taxil a débuté comme fabricant de brochures contre l'Eglise. Il s'était fait une spécialité fructueuse de récits, où le Sacerdoce, le culte et le Pape étaient représentés sous des apparences horrifiques, accusés des crimes les plus sanglants et les plus obscènes.

Ce petit commerce fit d'excellentes affaires pendant quelques années. Puis le débit de la marchandise anticléricale devint plus difficile. Menacé de fermer boutique, M. Léo Taxil n'hésita pas : il devint brusquement écrivain catholique, comme s'il avait été touché de la grâce, et de la même plume dont il s'était si bien servi contre l'Eglise il se mit à pondre inépuisablement des libelles en sa faveur. (...)

Alors, l'enthousiasme des nouveaux amis du pamphlétaire ne connut plus de bornes. Léo Taxil et Diana Vaughan furent célèbres dans tout l'univers catholique qui lisait avec passion les Mémoires d'une ex-palladiste. Le cardinal Parrocchi, haut fonctionnaire du Vatican, écrit à la « chère fille en N.-S. », pour lui envoyer la bénédiction du Pape, vivement ému par cette magnifique conversion. L'évêque de Grenoble joue sa partie dans le concert. C'est dans toute la chrétienté, parmi les gens considérables comme parmi les simples ouailles, un immense Laudate...

Cependant personne n'avait jamais vu Diana Vaughan. Beaucoup avaient lu ses lettres, contemplé ses photographies, mais un mystère planait sur son existence. On voulut la voir en chair et en os. Léo Taxil se déroba. Des soupçons se firent jour peu à peu sur l'existence réelle de l'intéressante Diana. Certains journaux se répandirent en articles sceptiques. D'autres crièrent nettement à l'imposture. Et enfin, Léo Taxil fut mis en demeure de montrer Mlle Vaughan en personne.

Il s'est exécuté mardi dernier, mais d'une façon bien inattendue, devant une réunion publique de trois cents personnes : De Diana Vaughan, a-t-il dit en substance, il n'y en a pas. C'est moi ! Je suis Marseillais, donc fumiste. J'ai déjà inventé l'invasion du port de Marseille par une bande de requins, puis la fameuse cité lacustre sous le lac de Genève, qui émut si fort les savants. J'ai voulu terminer ma carrière par un bateau plus monumental encore que toutes mes fumisteries précédentes, et c'est ainsi que j'ai créé Diana Vaughan, avec le concours de l'Eglise, que je remercie de m'avoir aidé dans cette belle mystification.

( Le Progrès Illustré, 25 avril 1897)
4 mai La catastrophe du Bazar de la Charité Amas de décombres et de corps carbonisés La panique L'incendie du Bazar de la Charité fait plus de cent morts : c'est une explosion d'une lampe d'un appareil de projection utilisé pour une représentation cinématographique qui regroupait plus de 1200 personnes qui est à l'origine de l'incendie. Les victimes seront célébrées en grande pompe à Notre-Dame le 9 mai suivant.

Après l'incendie du Bazar de la Charité

Tandis qu'infatigable en ses élans sublimes L'amour se prodiguait pour le déshérité Le sort moissonne et jette en ses brûlants abîmes Ceux qu'eut dû protéger ton aile, ô Charité ! D'un ouragan de feu les coups illégitimes Frappent sans choix, noblesse, esprit, vertu, beauté ; La mort confond les deuils et met sur les victimes Le sceau de son horrible et sombre égalité. Deux anges apparus dans ce désastre immense, Qui trop vite oublié tôt ou tard recommence. S'élèvent radieux de ce brasier fumant. L'âme en eux recouvrant sa force anéantie. L'espoir aux coeurs navrés renaît obscurément L'un a nom Dévouement et l'autre Sympathie.
Et BEAUVERIE.
( Le Passe-temps, 16 mai 1897)
23 août Visite officielle du président de la république Félix Faure en Russie, où le président français est reçu avec faste par le tsar Nicolas et la tsarine Alix. Cette visite, après celle des souverains russes en France l'année précédente entérine le succès de l'alliance franco-russe.
30 septembre Mort de soeur Thérèse au carmel de Lisieux.
14 octobre Après un premier vol de quelques mètres en 1890, Clément Ader récidive à bord de son Avion et quitte le sol sur 300 mètres avant de s'écraser.

N'avez-vous jamais rêvé de pouvoir voler comme l'hirondelle, - sillonnant le bleu chemin de l'air, dirait Théophile Gautier ? N'avez-vous point répété l'air mélancolique de la Salammbô de Reyer : Qui me donnera, colombes, vos ailes ?

Dans vos songes, parfois n'avez-vous pas goûté l'exquise sensation du « plus léger que l'air », d'une envolée impossible dans l'éther, au milieu des plaines vierges de l'empyrée, sous le regard des chastes étoiles ?

Voici que cette chimérique illusion revêt une apparence de réalité, grâce à M. Otto Lilienthal, un savant allemand, qui s'est construit des ailes de chauve-souris de quinze mètres carrés, et qui a pu, prenant son élan du sommet d'un grand rocher, planer horizontalement pendant près de trois cents mètres et atteindre doucement le sol.

Il y a loin, sans doute, de cette descente pataude aux coups d'ailes hardis dont la vision nous hante. C'est pourtant un commencement. Souvenez-vous des humbles origines de la bicyclette. Qui sait si l'aviation n'aura pas un essor aussi rapide ? Mais peut-être vaut-il mieux que l'humanité demeure rampante sur sa glèbe. Elle est si divisée contre elle-même qu'elle porterait la guerre jusque dans la paix des cieux. Et l'homme, sans doute, commettrait le suprême sacrilège d'ensanglanter l'azur...

( Le Progrès Illustré, 21 janvier 1894)
Novembre Mlle Jeanne Chauvin, docteur en droit, demande a être inscrit au barreau de Paris : elle serait la première femme en France à exercer la profession d'avocat.
15 novembre Le frère du capitaine Dreyfus accuse publiquement le commandant Esterhazy d'être le véritable auteur du bordereau qui a est à l'origine de la condamnation de Dreyfus.
2 décembre Dans l' Aurore, Clémenceau, l'ancien député du Var, dénonce la protection dont bénéficie le commandant Esterhazy dans l' Affaire Dreyfus. Il a de bonnes raisons de compatir au sort du militaire : quatre ans plus tôt, Clémenceau, accusé lui aussi, sur la base de faux documents, d'être un agent au service des Britanniques a du quitter son siège de député, quand bien même la justice a reconnu son innocence.
7 décembre Auguste Scheurer-Kestener, devant ses collègues du sénat, demande au ministre de la guerre les raisons du refus de la révision du procès de l'ex-capitaine Dreyfus. Le chef du service de renseignement, le lieutenant colonel Picquart, qui avait établi que l'auteur du bordereau était bien Esterhazy a été muté dans le sud tunisien. Si les présomptions contre Dreyfus sont de plus en plus sujette à caution, une partie de l'opinion publique à fait de sa culpabilité le fer de lance de l'antisémitisme nationale.
27 décembre La première représentation de Cyrano de Bergerac d' Edmond Rostand remporte un vif succès. Constant Coquelin, qui en interprète le rôle titre, fait entrer ce soir là la « tirade du nez » dans la légende.

En revanche, si les Mauvais Bergers vous laissent une impression de lourd et vain cauchemar, Cyrano de Bergerac vous ensoleille l'âme. Après tant d'élucubrations obscures, angoissantes, symboliques, funèbres, par où se sont appesantis sur nous tous les Mirbeau contemporains, c'est comme une bouffée d'air frais et limpide dans une atmosphère empestée.

La réaction a paru si bienfaisante qu'on a crié au chef-d'oeuvre ; quelques-uns ont annoncé l'avènement d'un nouveau Victor Hugo. C'est trop. M. Rostand nous a seulement ramenés des brumes glaciales de Norvège au clair et tiède pays de France ; il a fallu son Cyrano pour faire comprendre à des Français que ce qui leur convient le mieux, c'est encore la langue française et ce sont aussi les idées françaises. Service signalé rendu à notre temps !

Si M. Rostand n'est pas tout à fait Victor Hugo, il vaut mieux que Banville, et le rang n'est certes pas médiocre. Sa pièce est toute fantaisie, belle humeur, grâce ironique et légère, lyrisme étincelant, poésie chevaleresque faite de courage, d'amour et d'illusions. Cyrano résume à la fois d'Artagnan et Gringoire. Le public retrouve en lui une ancienne et charmante connaissance, galamment habillée de neuf, disant sur de vieux airs des paroles exquises et nouvelles. Aussi on lui fait fête comme à un ami reconquis...

Je n'ai pas parlé de Sarah dans les Mauvais Bergers. Hélas ! elle n'y mérite guère que le silence. Mais Coquelin est éblouissant dans Cyrano. Quatorze cents vers, et un rôle de mousquetaire héroïque et sentimental ! C'était le rêve de Coquelin. Il ne mourra donc pas sans l'avoir pleinement réalisé...

( Le Progrès Illustré, 16 janvier 1898)

L'année en chef-d'oeuvre

  • André Gide : Les nourritures terrestres
  • Claude Debussy : Les Chansons de Bilitis, d'après l'oeuvre de Louys publié en 1894
  • Durkheim : Revue de sociologie
  • Gallé et Daum : Ecole de Nancy
  • 1898

    11 janvier Le commandant Esterhazy est acquitté aux cris de Morts aux juifs Vive l'armée !
    13 janvier Le procès Zola devant la Cour d'assises de la Seine A la suite de cet acquittement, Zola publie dans l'Aurore, le journal de Clémenceau, son célèbre J'accuse : lettre à M. Félix Faure. Pour ce texte, il sera condamné le 23 février au maximum de la peine encouru pour diffamation : 3000 francs d'amende et un an de prison ferme.

    A la suite d'un article intitulé : J'accuse, relatif à l'affaire Dreyfus-Esterhazy et publié par le journal l' Aurore, le ministre de la guerre a demandé des poursuites contre l'auteur de cet article, le célèbre romancier Emile Zola, et contre le gérant de l' Aurore.

    Les débats de ce procès sensationnel ont commencé lundi dernier devant la cour d'assises de la Seine. Notre gravure dé première page représente M. Emile Zola au moment où il répond à l'interrogatoire du président. Au premier plan à droite et en avant d'un garde municipal, Me Labori, avocat de l'accusé, est vu de profil ; à droite de Me Labori est assis M. Georges Clemenceau, ancien député, qui défend le gérant de l' Aurore. En haut de la page, dans un médaillon, se délache le portrait de M. Emile Zola.

    ( Le Progrès Illustré, 13 février 1898)
    Juin L'ouverture du premier salon de l'automobile, au jardin des Tuileries est un franc succès. On peut y admirer, déjà, les premières Peugeot, dont la Peugeot vis-à-vis.
    4 juin Ludovic Tardieu, républicain modéré créé la ligue des droits de l'Homme, organisation dreyfusarde et républicaine, qui consacre son action à la défence des principes de 1789.
    4 juillet Le naufrage du paquebot La Bourgogne au large des côtes canadiennes, heurté par un voilier, fait 500 morts.
    13 juillet Le retour du capitaine Dreyfus Le colonel Picquart est arrêté et inculpé de divulgation de dossiers secrets. Il a pris la défense de Dreyfus, et est devenu, aux yeux de la presse, le contrepoint du colonel Henry, le supèrieur de Dreyfuss et principal instigateur de l' Affaire.
    18 juillet Zola s'exile en Angleterre après une seconde condamnation par la cour d'assises de Versailles.
    18 juillet Pierre et Marie Curie annoncent la découverte d'un nouvel élément radioactif : le polonium.
    13 août Le capitaine Louis Cuignet apporte la preuve que l'un des documents qui avait fait accuser Dreyfus est un faux fourni par le colonel Henry. A partir de là, les éléments vont se multiplier qui apporteront les preuves de l'innocence de Dreyfus. La vérité est en marche dira Zola.
    31 août Le suicide du lieutenant-colonel Henry Emprisonné la veille après avoir avoué avoir fabriqué de faux documents pour faire accuser Dreyfus, le colonel Henry se donne la mort dans sa cellule du Mont-Valérien en se tranchant la gorge avec son rasoir.

    Le 30 août au soir, une communication du ministre de la guerre arrivait comme un coup de foudre, annonçant que le lieutenant-colonel Henry, chef du service des renseignements, avait été reconnu et s'était reconnu lui-même l'auteur de la lettre en date d'octobre 1896, où Dreyfus est nommé. Le lendemain, autre nouvelle sensationnelle, on apprenait que le lieutenant-colonel Henry s'était suicidé à l'aide d'un rasoir, dans une cellule de la forteresse du Mont-Valérien, où M. Cavaignac l'avait fait enfermer après avoir recueilli ses aveux. Nous n'avons pas insister sur l'émotion produite par ces graves événements qui ont abouti à la démission du ministre de la guerre et à celle de M. le général de Boisdeffre, chef d'état-major général de l'armée, et amené l'unanimité du pays, jusqu'à ce moment divisé, à considérer comme nécessaire la révision du procès Dreyfus.

    ( Le Progrès Illustré, 11 septembre 1898)
    29 octobre La cours de cassation accepte la révision du procès Dreyfus. Cependant, à l'appel de la ligue antisémite, des parisiens manifestent leur soutient à l'armée devant le Palais-Bourbon, et la souscription en faveur de la veuve de Henry, lancée par le journal antisémite de Drumont, la Libre Parole, rencontre un énorme succès.
    5 novembre Un premier essai de télégraphie sans fil est effectué entre la tour Eiffel et le Panthéon.

    Chaque jour, on peut le dire, l'électricité nous apporte de nouvelles surprises, et ses découvertes se multiplient avec une telle fécondité que l'utopie d'hier devient la banalité de demain. Depuis que Roentgen a publié le récit de ses expériences sur les rayons qui ont gardé son nom, les inventeurs se sont attaqués à la transmission des ondes électriques à travers les milieux résistants, si bien qu'on pouvait, il y a déjà plusieurs mois, prévoir le moment ou l'on se passerait facilement des fils conducteurs dans les transmissions télégraphiques. Je doute cependant que les plus audacieux aient jamais rêvé de conséquences aussi merveilleuses que celles en face desquelles nous nous trouvons aujourd'hui.

    Deux hommes, d'origine et de caractère complètement différents, viennent d'arriver simultanément à des résultats identiques. L'un est un Hindou élevé et instruit en Angleterre, le Dr Jagadis Chunder Bose ; l'autre est un jeune Italien de vingt-deux ans, Guglielmo Marconi, né à Bologne en avril 1875. Leur découverte nous est exposée dans les magazines Mac Clur's et Strand de Mars, par un savant vulgarisateur dont nos lecteurs n'ont certainement pas oublié les travaux antérieurs, M. J.-W. Dam.

    ( Le Progrès Illustré, 23 mai 1897)
    26 décembre M. et Mme Curie Les Curie, en collaboration avec Gustave Bémont, annoncent la découverte du radium.

    La découverte du radium, - qu'on la considère au point de vue des propriétés extraordinaires de cette substance, uniques dans leur intensité sinon dans leur espèce, ou bien au point de vue de l'invincible patience avec laquelle les difficultés de la séparation ont été habilement surmontées, ou des idées nouvelles et même révolutionnaires sur la constitution de la matière et sur les réserves et les transformations de l'énergie dans la nature que l'étude de ses propriétés ouvrent à notre esprit -- peut bien être caractérisée comme la plus grande découverte en chimie du temps présent. Tels sont les termes du rapport de la Société royale de Londres, qui décernait il y a quelques jours la médaille Davy à M. et Mme Curie. M. P. Curie est chargé de cours à la Sorbonne et professeur à l'Ecole municipale de physique et de chimie industrielles. Mme Curie, d'origine polonaise, est docteur es sciences et professe à l'Ecole normale de Sèvres.

    ( Le Progrès Illustré, 27 décembre 1903)

    L'année en chef-d'oeuvre

    • Cézanne : portrait d'Eugène Vollard
    • Rodin : Balzac

    1899

    16 février Les derniers moments de M. Félix Faure M. Emile Loubetprésident du sénat élu Président de la République française le 18 février 1899 Félix Faure, président de la république, est foudroyé par une congestion cérébrale au cours d'un rendez-vous galant. Il est remplacé le 18 par Emile Loubet.

    Dans la matinée du jeudi 16 février le Président de la République avait présidé avec sa lucidité ordinaire le Conseil des ministres, et rien dans sa physionomie n'avait révélé le moindre indice de souffrance. Vers six heures du soir, il se trouvait tout à coup indisposé. Son état ne parut pas grave au premier abord; mais comme il empirait d'instant en instant, les docteurs Lannelongue, Potain et Cheurlot furent mandés en toute hâte, tandis que H. Charles Dupuy était avisé d'autre part.

    M. Félix Faure était assis sur le canapé de son cabinet, répétant fréquemment qu'il ne se faisait aucune illusion sur son état. Sa femme et ses filles étaient auprès de lui, et il leur fit ses adieux ainsi qu'à M. Le Gall et à son valet de chambre.

    Le diagnostic des médecins ne laissait malheureusement aucun espoir. Vers neuf heures M. Félix Faure perdait connaissance et à dix heures il rendait le dernier soupir, terrassé par une hémorragie cérébrale.

    D'autres gravures reproduisent les traits du président défunt et ceux de M. Emile Loubet, que, dans sa séance du 18 février, le Sénat et la Chambre, réunis en Congrès, ont élevé à la présidence de la République.

    ( Le Progrès Illustré, 26 février 1899)
    23 février Le député et écrivain nationaliste Paul Déroulède détourne le régiment qui vient de défiler aux obsèques de Faure, et l'entraîne à marcher sur l'Elysée. Arrêté et traduit devant la cour d'assise, il sera acquitté.
    18 mai La première Conférence pour la paix de La Haye instaure une Cour internationale d'arbitrage et codifie le droit de la guerre.
    3 juin La cour de Cassation casse, à l'unanimité, le jugement qui condamnait Dreyfus.
    22 juin Les nouveaux ministres Après une série de manifestations contre l'actuel gouvernement de Charles Dupuy jugé incapable de faire respecter l'ordre public, Pierre Waldeck-Rousseau parvient à former un gouvernement avec le soutien de la gauche. Pour la première fois un socialiste, Alexandre Millerant devient ministre.
    23 juin Louis Lépine, futur initiateur du concours qui porte son nom, est nommé préfet de police.
    12 août

    Vingt-quatre nationalistes, dont Paul Déroulède, sont arrêtés pour complot contre l'Etat. Certains membres de la Ligue antisémite se retranchent au siège du mouvement, dans un immeuble de la rue Chabrol. Pendant 38 jours, ils vont être assiégés par la police, ravitaillés par des parisiens favorables à leur action.

    Le 20 septembre, ils se rendent à la police.

    9 septembre Le conseil de guerre de Rennes

    Après un mois de débats passionnés, le Conseil de guerre condamne le capitaine Dreyfus pour la seconde fois à 5 voix contre 2. Dix jours plus tard, le président Loubet, pour mettre fin à l'affaire, prononce la grâce du capitaine. L'incident est clos , dira le ministre de la guerre.

    L'année en chef-d'oeuvre

    1. Georges Méliès : L'affaire Dreyfus
    2. Bergson : Le Rire
    3. Gauguin : Les Seins aux fleurs rouges
    4. Lautrec : Au Cirque
    5. Feydau : La Dame de chez Maxim's

    1900

    15 mars Edmond Rostand remporte un nouveau succès avec l'Aiglon, interprétée par Sarah Bernhardt, qui, à 56 ans, interprète le rôle du fils de Napoléon.
    30 mars Une loi proposé par Millerand, ministre socialiste, fixe la durée quotidienne du travail à 11 heures, et prévoit sa réduction progressive à 10 dans les prochaines années.
    1er avril Colette publie son premier ouvrage, Claudine à l'école, sous le nom de son mari, l?écrivain Willy. Son livre bat tous les records de librairie, mais Colette ne peut pas, à la fin du XIXème siècle s'en attribuer le mérite.
    14 avril Inauguration de l'exposition universelle de 1900 : elle acceuillera les mois suivant (jusqu'en novembre) 50 millions de visiteurs venu admirer les 76000 exposants répartis des Champs-Elysées à Passy et des Invalides au Champs-de-Mars. On vient surtout y découvrir le palais de la fée Electricité. Alors que celle de 1889 avait laissé à Paris la Tour Eiffel, cette exposition léguera à la capitale le Petit et le Grand Palais, et la gare d'Orsay.
    22 avril Le monument du sergent Blandan Inauguration de la statue du sergent Blandan, héros de la conquête d'Algérie, sur la place Sathonay à Lyon.

    L'héroïque soldat dont la statue, que nous reproduisons dans ce numéro, va être inaugurée solennellement aujourd'hui sur la place Sathonay, était, comme on sait un enfant de Lyon. Il était né en effet non loin de l'emplacement où s'élève le nouveau monument dans le quartier de la Boucherie des Terreaux, rue de la Cage, aujourd'hui démolie, le 9 février 1819.

    Vingt-trois ans après, l'obscur soldat de la veille, parvenu au grade de sergent, tombait glorieusement sur la terre d'Afrique des suites de trois coups de feu reçus au combat de Beni-Mered où, à la tête de vingt et un soldats du 26e de ligne, portant la correspondance, il résista à près de trois cents cavaliers arabes.

    Sommé de se rendre par un des Arabes, il avait répondu par un coup de feu qui étendit mort son adversaire. Un furieux combat s'engagea alors et Blandan, frappé de trois balles, tomba s'écriant ces nobles et simples paroles : Courage, mes amis, défendez-vous jusqu'à la mort !Quand les secours arrivèrent, quatre hommes seulement de son petit détachement restaient debout. Blandan succomba le lendemain à l'hôpital de Bouffarick.

    En 1887 une statue lui avait été érigée dans cette ville. Nos concitoyens ont voulu à leur tour rendre un solennel hommage au modeste héros dont la fin constitue un des plus beaux faits d'armes de la conquête de l'Algérie. La nouvelle statue, fort remarquable, est l'oeuvre d'un de nos patriotes, le sculpteur Lamotte.

    ( Le Progrès Illustré, 22 avril 1900)
    14 mai Ouverture des second Jeux Olympiques à Paris. Si la plupart des médailles en athlétismes sont obtenues par des américains, c?est un jardinier français, Michel Theato qui remporte le marathon.
    23 juin Inauguration du dôme du Sacré-C?ur à Paris.
    19 juillet La première ligne de métropolitain, Vincennes-Neuilly est inaugurée. Elle permet de traverser la capitale en moins d?une demi-heure, à raison d?un métro toutes les six minutes. C?est l?aboutissement d?un projet en gestation depuis bientôt quarante ans, qui rencontre encore des détracteurs, prédisant aux usagers, asphyxies, électrocutions et autres catastrophes.
    9 décembre Une loi, autorisant les femmes à exercer la profession d?avocat, bénéficie à Jeanne Chauvin, première femme avocat en France.
    20 décembre Après avoir filmé d'un ballon dirigeable l'exposition universelle, puis reproduit et colorié le film, Grimouin-Samson le projette à partir de dix projecteurs synchronisés, réalisant le premier cinérama.