Sommaire :

    Causerie.

    Les journaux religieux débordent depuis quelques jours d'une indignation véhémente contre M. Léo Taxil, qui est à la vérité un assez drôle de corps. Leurs excommunications sont motivées par une aventure récente, dont le comique n'est pas médiocre et qu'il serait fâcheux de passer sous silence. On sait que M. Léo Taxil a débuté comme fabricant de brochures contre l'Eglise. Il s'était fait une spécialité fructueuse de récits, où le Sacerdoce, le culte et le Pape étaient représentés sous des apparences horrifiques, accusés des crimes les plus sanglants et les plus obscènes.

    Ce petit commerce fit d'excellentes affaires pendant quelques années. Puis le débit de la marchandise anticléricale devint plus difficile. Menacé de fermer boutique, M. Léo Taxil n'hésita pas : il devint brusquement écrivain catholique, comme s'il avait été touché de la grâce, et de la même plume dont il s'était si bien servi contre l'Eglise il se mit à pondre inépuisablement des libelles en sa faveur.

    Après avoir déshonoré les sacristies, il diffama les loges. Son officine d'irréligion et de sacrilèges se changea en librairie bien-pensante, en usine antimaçonnique. Il dévoila les prétendus mystères de la maçonnerie de la même façon qu'il imaginait jadis les Amours secrètes de Pie IX . Et ce fut une allégresse dans le monde dévot. On tua le veau gras pour cet enfant prodigue dont la conversion devait causer au ciel plus de joie que la persévérance de dix justes. Les couvents s'arrachaient ses oeuvres. Les hauts dignitaires ecclésiastiques se firent ses patrons. Léon XIII lui-même accorda une audience à ce nouveau Père de l'Eglise qui menait de si belles batailles contre les infidèles.

    Et le petit commerce de refleurir. D'autant plus que M. Léo Taxil ne s'en tint pas à la seule maçonnerie. Il s'attaqua à toutes les impiétés, notamment au palladisme, c'est-à-dire au culte de Satan dont Diana Vaughan, grande prêtresse de cette religion infâme, lui apprit tous les odieux mystères. Bien mieux, par la force communicative de sa foi de néophyte, il obtint la conversion de Diana Vaughan.

    Alors, l'enthousiasme des nouveaux amis du pamphlétaire ne connut plus de bornes. Léo Taxil et Diana Vaughan furent célèbres dans tout l'univers catholique qui lisait avec passion les Mémoires d'une ex-palladiste. Le cardinal Parrocchi, haut fonctionnaire du Vatican, écrit à la « chère fille en N.-S. », pour lui envoyer la bénédiction du Pape, vivement ému par cette magnifique conversion. L'évêque de Grenoble joue sa partie dans le concert. C'est dans toute la chrétienté, parmi les gens considérables comme parmi les simples ouailles, un immense Laudate...

    Cependant personne n'avait jamais vu Diana Vaughan. Beaucoup avaient lu ses lettres, contemplé ses photographies, mais un mystère planait sur son existence. On voulut la voir en chair et en os. Léo Taxil se déroba. Des soupçons se firent jour peu à peu sur l'existence réelle de l'intéressante Diana. Certains journaux se répandirent en articles sceptiques. D'autres crièrent nettement à l'imposture. Et enfin, Léo Taxil fut mis en demeure de montrer Mlle Vaughan en personne.

    Il s'est exécuté mardi dernier, mais d'une façon bien inattendue, devant une réunion publique de trois cents personnes : De Diana Vaughan, a-t-il dit en substance, il n'y en a pas. C'est moi ! Je suis Marseillais, donc fumiste. J'ai déjà inventé l'invasion du port de Marseille par une bande de requins, puis la fameuse cité lacustre sous le lac de Genève, qui émut si fort les savants. J'ai voulu terminer ma carrière par un bateau plus monumental encore que toutes mes fumisteries précédentes, et c'est ainsi que j'ai créé Diana Vaughan, avec le concours de l'Eglise, que je remercie de m'avoir aidé dans cette belle mystification.

    On comprend la fureur indignée des mystifiés devant ce formidable « lapin ». Nous abandonnons M. Léo Taxil et ses avatars à leur juste colère. Mais avouez que la plaisanterie est vraiment sans seconde ! L'infaillibilité papale elle-même y a été prise. Comment aller plus loin dans le fumisme ? Du coup, et Vivier, et Sapeck, et Lemice-Terrieux sont dépassés. Le barnum de Diana de Vaughan est leur maître à tous. Vilain monsieur, sans doute, apostat cynique assurément, mais quel gigantesque farceur !

    Que penser cependant de la crédulité de nos contemporains, quand on songe, à la grossièreté de la fable imaginée par le sycophante et au rang des personnages notables qui l'ont ingénument gobée ? Jamais pareil coup de sonde ne fut donné dans les abîmes décidément sans fond de la bêtise humaine !

    Jacques Mauprat.

    droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

    Retour