La Donation Georges Baguet

Quarante ans de reportage sur les Tiers-monde

Une donation comme celle de Georges Baguet représente une source iconographique particulièrement intéressante sur des grands événements qui ont marqué l’histoire du siècle passé ─ lutte pour l’égalité des Noirs aux Etats-Unis, révolution islamique en Iran, guerre fratricide en Irlande-, autant de photographies qui situent notre auteur comme témoin privilégié des évolutions ou révolutions fondamentales de nos sociétés. C’est donc avec un grand intérêt que la Bibliothèque municipale de Lyon, qui conserve déjà de nombreuses collections photographiques, vient d’accueillir ce témoignage historique et social de la seconde moitié du XXe siècle.

Ce fonds est constitué de négatifs, diapositives, tirages sur papier, et il retrace, en grande partie, les problèmes des minorités, notamment au Proche-Orient, en Amérique du Nord, en Irlande, mais aussi en Afrique du Nord, en Egypte, en Inde, en Irak, en Iran... L’Europe n’est pas absente, ni Paris et ses quartiers populaires. Ainsi, Georges Baguet a-t-il centré son travail photographique sur ce que nous appelons les Tiers-mondes. Il a travaillé en journaliste free-lance. L’homme est surtout généreux. Plus que l’événement lui-même ─ guerre, révolution ─ ce sont les gens, les populations qu’il souhaite connaître, dont il cherche à se rapprocher, que ce soit par l’écriture ou par la photographie.

Détroit, Michigan, Etats-Unis, 1980 Georges Baguet (BM Lyon, Fonds Georges Baguet, P0681 08986) Favoriser la prise de conscience, témoigner des problèmes auxquels sont confrontés certains peuples, voilà les maîtres mots de sa démarche. Il utilise la photographie pour donner à voir de manière plus efficace, ce dont il est le témoin. Epris de liberté, Georges Baguet est un auteur « concerné », il n’est pas indifférent au monde qui l’entoure et ses photographies en témoignent. Il se tient auprès des malmenés, des laissés-pour-compte ; il les côtoie aussi tout près de chez lui, dans les banlieues désaffectées. Ses photographies sur les ghettos en France sont autant de témoignages vivants sur la pauvreté dans les pays industrialisés. Comme il aime à le dire, il repousse volontairement les frontières, allant voir de l’autre côté, afin de montrer comment vivent les hommes. En journaliste courageux, il nous offre des écrits et des photographies sans concession.

De Khomeiny à Angela Davis

Dans les années 1970, le photographe voyage beaucoup : ses employeurs lui demandent d’être présent là où l’actualité bouscule le monde. En 1979, en Iran, et il assiste à la révolution religieuse. Il photographie, tel un documentariste, témoin de la force de l’islam dans le nouveau visage politique de ce pays. Il connaîtra l’Irak prospère de Saddam Hussein, puis le pays défait après la première guerre du Golfe. Il réalise alors combien la photographie, qu’il utilisait au départ en complément de l’écriture, s’impose en tant qu’outil indispensable. Ses reportages montrent combien le monde est en proie à l’instabilité, une population accoutumée au silence, lance des cris de protestation, clame ses difficultés. Georges Baguet saisit avec intelligence les regards, les gestes, le sens profond des faits historiques, notamment au Liban où s’affrontent chrétiens et musulmans, ainsi qu’en Irlande du Nord où catholiques irlandais et protestants britanniques se font la guerre.

Aux États-Unis, il veut connaître et comprendre la minorité noire, rencontre Angela Davis dans sa prison, se lie avec l’écrivain James Baldwin, connaît les Black Panthers. En observateur lucide, son travail atteste des conditions de vie des gens ainsi que de leur volonté de combattre l’injustice. Malgré ce climat tendu, une confiance s’étblit entre l’auteur et les populations locales, il est des leurs, cela se voit, les enfants lui sourient, les adultes le respectent. Il retournera plusieurs fois aux Etats-Unis et reverra ceux qui sont devenus ses amis. Georges Baguet est un pacifiste, réaliste et objectif. Son indéniable éthique, son enthousiasme tentent de réconcilier les hommes entre eux, il nous invite à une prise de conscience altruiste, à une autre relation au monde. On approche de l’anthropologie. Ses photographies instaurent un dialogue, loin des clichés et du voyeurisme. Elles nous offrent, à l’encontre du sensationnel, une proximité avec une humanité en déroute, pauvre, dépossédée, souffrante mais non sans beauté.

Elles savent magnifiquement saisir les diversités sociales et culturelles, restituer l’homme dans sa dignité essentielle. La donation de Georges Baguet nous offre d’authentiques rencontres d’un monde en devenir.