Guignol journaliste

Trois petits tours et puis s’en va…

Prêtres et royalistes à l’assaut de la République ! Une du Guignol de Lyon illustré, le 15 octobre 1882 (BM Lyon, 5394) Aujourd’hui, chez les marchands de journaux, nous ne trouvons plus le délicieux Guignol [note]Guignol, journal hebdomadaire et humoristique, Lyon, 1914-1972 (BM Lyon, 950 633).. Certains d’entre nous se souviennent, très certainement, de cet hebdomadaire avec lequel nous avions rendez-vous. Chaque jeudi, nous l’attendions ! Il était porteur d’informations locales et nationales, commentées par notre emblématique Guignol. Nous pouvions savourer, dans ces textes, notre parler lyonnais. Une expression populaire revenait fréquemment, dès lors que nous assistions à un fait divers exceptionnel et original : Ça serait à publier dans Guignol ! Nous lui donnions le pouvoir d’exprimer au grand public le cancan de l’immeuble ou du quartier. Mais depuis quand existait-il, ce journal de Guignol ? Eh bien, c’est ce que nous allons tenter de vous faire découvrir. Pour cela, nous avons consulté les archives, en particulier celles de la Bibliothèque municipale de Lyon. En feuilletant inlassablement les journaux, nous avons parcouru plus d’un siècle.

En effet, le premier Journal de Guignol [note]Journal de Guignol, Lyon, 1865-1866 (BM Lyon 5517) est édité le dimanche 30 avril 1865. Il est imprimé chez le sieur Labaume [note]Lui-même fils de libraire, Jacques-Eugène Barbier-Labaume était libraire au n° 16 de la rue Mercière, successeur de Mme Matheron depuis 1843, jusqu’en 1852. Ayant eu un brevet d’imprimeur délivré par l’autorité en mai 1852, il ouvrit une imprimerie au n° 50 de la nouvelle rue Monsieur (aujourd’hui rue Molière), dans le quartier des Brotteaux. Il fonda également un almanach fameux, qui parut de 1860 à 1882. A l’origine du Journal de Guignol, l’on trouve également le jeune journaliste Jules Coste, qui épouse la fille de Labaume, devient Jules Coste-Labaume (1840-1910), lance d’autres périodiques lyonnais, est l’auteur d’une pochade en trois actes intitulée Guignol député (1883), participe à la création de l’Académie du Gourguillon, est élu conseiller municipal de Lyon, conseiller général et finalement président du Conseil général du Rhône., au n° 5 du cours Lafayette et son directeur-gérant est un certain sieur Barrillot, journaliste de son état, d’origine lyonnaise, mais installé à Paris. Ses dimensions sont respectables : 40 cm x 30 cm, et son titre évocateur : il se veut Drolatique, satirique, amphigourique, à la portée de toutes les intelligences et ouvert à toutes les triques emplumées. Paraissant quand bon lui semble, lorsqu’il le pourra. Guignol se réserve d’aller de l’avant quand il aura assuré ses arrières. Il est hebdomadaire, paraît tous les dimanches et coûte 10 centimes. En avant-propos, il est stipulé : Pour faire ses armes dans l’arène de Guignol, point n’est besoin d’être académicien et l’orthographe n’est pas de rigueur. Il faut des idées, du neuf, des balançoires, des coups de bâton ou de bec, mais sans scandale ! Voilà pour le programme.

Faire part du décès de Guignol encart placé en dernière page dans le dernier numéro du Journal de Guignol, 2 décembre 1865 (BM Lyon, 5517) Mais, comment est créé ce premier Journal de Guignol ? Barrillot, qui avait participé à différentes publications comme le Polichinelle en 1857, Le Triboulet en 1861, avant le lancement du Journal de Guignol, nous apporte l’explication suivante… dans la langue typique de la marionnette lyonnaise [note]Nous respecterons, tout au long de cet article, le vocabulaire et les expressions propres aux personnages créés, il a deux siècles, par Laurent Mourguet. :

Dans ces divers écrits, gn’avait un griffardin de rédacteur que signait indistinctement : Faunus, Grenilo, Gambille, Polichinelle, Triboulet ou Barrillot… C’est à ce moment que j’allais décaniller du castelet, car mon incarnation [sic] était résolue et mon journal n’attendait, pour entrer en campagne, que le copiement solide de mes cousins Cogne-Mou, Claque-Posse et Caque-Nano, que deviont avoir pour sargent mon pylate Gnafron et le cordon bleu, la colombe Madelon. Mais, avant de faire opérer à mon âme de marionnette un saut de carpe de c’tte force, une transmigration aussi grandiose que celle-là, mon p’pa en polémique a voulu essayer, en 1863, mes dispositions pour le détrancanage de gandoises et le trafusement de gognandises dans la Mort du Diable. L’épreuve ayant réussi à sa grande contentation, mon procréateur, par un aque de volonté, m’arrapa mon salsifis comme par la manette d’une cruche à malices, et y m’incarna, tavelle en main, dans la peau que vous voyez su mes épaules. Enfin j’étais journaliseur !... et j’allais devenir une institution. Or donc, voici comment et par qui fut fondé le Journal de Guignol.

Une plume qui égratigne

A la Une, nous trouvons, chaque fois, un billet intitulé Aux gones de Lyon signé Guignol et un feuilleton écrit par Claque-Posse. A l’intérieur, se trouve Guignol en colère, revue satirique en vers. Plus loin, Les bugnes à l’éperons sont un cuchon de gognandises [note]Bêtises, plaisanteries qui peuvent aller jusqu’à la grivoiserie.. Suit un aperçu des spectacles donnés dans les théâtres lyonnais. Les signatures sont celles de Pancrasse Fouinard, Arthur Casque à Mèche, Jérôme du Grollon... Toutefois, nous regrettons de ne pas pouvoir lire des articles sur les théâtres Guignol de l’époque. Ils auraient été, à eux seuls, une mine de renseignements. Pourtant, dans le numéro Un, Guignol annonçait qu’il donnerait une silhouette de ces divers établissements… En 1865, il nous signale toutefois que depuis quelque temps, les castelets se sont multipliés dans notre ville. La rue Port-du-Temple en compte deux, à elle seule, qui vivent côte à côte. Ce sont, pour la plupart, des cafés-spectacles. De temps en temps, surgit une rubrique Pensées d’un canut comme :

Les remords sont les bardanes [note]Les punaises de la conscience !
. L’auteur n’est autre que Pensiculator.

Ce journal remporte un vif succès. Les numéros 1 et 2 seront réédités en juillet 1865 et vendus 25 centimes ! Puis, en mai 1866, le numéro 3 est réclamé par les collectionneurs : il sera mis en vente au même prix que les deux précédents. Le quinzième sera vendu au profit des ouvriers sans travail. Guignol sait bien ce qu’il fait et son tirage s’élèvera, d’après lui, à 10 500 exemplaires et pas un ne restera. Car sa tavelle [note]Bille dont les voituriers se servent pour serrer leurs chargements. Par extension, trique. entend annoncer la vérité et, bien souvent, elle égratigne. Un peu trop au goût de certains et on lui reproche que les articles soient anonymes.

Les critiques s’accumulant, le journal est plusieurs fois condamné. Les gérants se succèdent. Après Barrillot, c’est le tour de Jacques-Eugène Barbier-Labaume jusqu’à son emprisonnement. Enfin Eugène Thomain, jusqu’au 83e et dernier numéro. Ainsi, le Journal de Guignol aura vécu 17 mois, d’une existence frappée par quatre procès, 6 175 francs d’amendes et 16 mois et 8 jours de prison. Le chiffre total des ventes du journal, s’élève, toujours d’après l’éditeur, à 1 245 000 exemplaires ! Soit une moyenne de 15 000 exemplaires par numéro. Le numéro Un fut annoncé comme tiré à 2 000 exemplaires, le plus fort tirage étant de 35 000 exemplaires. Dès ce premier numéro, la marche ascendante du tirage est constante jusqu’au dixième. En effet, à cette époque, la vente aux petits marchands de journaux, qui était jusqu’alors tolérée sur la voie publique, est interdite et les tirages baissent subitement de plus d’un tiers. Quelques-uns de ces numéros ont connu des prix fabuleux, puisque atteignant 50 francs !

C’est moi Gnafron ! J’arrive en second, mais j’arrive

L’affrontement entre cléricaux et Républicains à la Une de Chignol et Gnafron , le 3 février 1878 (BM Lyon, 5474). A la suite du premier procès intenté contre MM. Jacques Labaume et Stanislas Charnal, ce dernier, qui n’est autre que Caque-Nano, quitte le Journal de Guignol et crée le Journal de Gnafron [note]Le Journal de Gnafron, cousin de Guignol : organe de la décentralisation littéraire et artistique, Lyon, juillet-novembre 1865 (BM Lyon 5580).. Celui-ci voit le jour le dimanche 23 juillet 1865 et coûte, comme son confrère, 10 centimes. Il se dit : « Organe de la décentralisation littéraire et artistique. » Ses bureaux se situent 11, cours de Brosses (actuel cours Gambetta). Dans le premier numéro, Gnafron se présente aux gones : C’est moi Gnafron ! J’arrive en second, mais j’arrive. Me voilà, incarné dans un corps de journaliste. Ne suis-je pas de bois dont on les fabrique ? Et n’est-ce pas aux marionnettes à devenir hommes, lorsque tant d’hommes se font marionnettes ? Tout se métamorphose, parbleu ! La vie n’est qu’une continuelle transformation, et le bois devient feu.

Le Journal de Gnafron disparaît cependant dès le 12 novembre 1865, lors de l’édition du 17e numéro. A son tour, le Journal de Guignol, cesse de paraître le 2 décembre 1866. Les abonnés sont remboursés à bureau ouvert et le silence se fait. Quelques mois s’écoulent, puis, un nouveau journal est imprimé : La Marionnette [note]La Marionnette, journal satirique, Lyon, mai 1867-décembre 1868 (BM Lyon 5518). L’imprimeur n’est autre qu’Eugène Labaume. Toujours lui ! Encore un journal ? , lui disent des amis, en apprenant la parution de La Marionnette après les ennuis du premier titre. Mais c’est de la folie , lui susurrent d’autres interlocuteurs. Eugène Labaume se contente de leur répondre : Il est certain que la publication d’un journal a des côtés désagréables que, mieux que personne, j’ai été à même d’apprécier ; mais en vérité, malgré mon désir de les éviter, je ne saurai devenir marchand de cure-dents humanitaires ou fabricant de citernes hygiéniques. Je suis imprimeur et je le reste, hélas ! Je lance donc La Marionnette.

Lorsque Guignol devient métaphorique… La défaite française lors de la guerre de 1870 contre la Prusse Une du Guignol illustré, journal patriotique, le 25 décembre 1870 (BM Lyon, 5392) Le dimanche 26 mai 1867, le premier numéro se vend deux sous, comme ses aînés. Ce journal dit « satirique » affiche à la Une ses opinions :

La Marionnette deviendra politique aussitôt que la législation le permettra !
Mais, sans attendre l’autorisation, il y a tentative, et un procès est intenté contre l’imprimeur par le Ministère public.

En tout cas, à l’intérieur rien de bien transcendant, pouvant servir à l’histoire lyonnaise et, dans tous les cas, toujours rien sur les théâtres de Guignol. Quel dommage ! Les descriptions sur ces cafés-théâtres auraient été si pittoresques et sources de riches témoignages. En feuilletant, surgissent à nos yeux quelques gognandises ou rêveries d’un canut sans ouvrage, telles Une femme qui n’a pas plus de dents a cela de commun avec les chevaux de bois, c’est qu’elle court toujours au râtelier ! Ou bien : Autrefois la vie était à bon marché et nos grands-mères filaient, aujourd’hui tout est cher et c’est l’argent qui file !

Ce journal a ses adeptes, le n° 5 est tiré, sinon vendu, à 9 000 exemplaires ! Malgré tout, il disparaît au 81e numéro, qui sort des presses le dimanche 6 décembre 1868. Un sursis permet la parution, 8 jours plus tard seulement, le 13 décembre, d’un ultime numéro rebaptisé : La Marionnette, journal satirique et politique. Vendu au prix de 15 centimes, il restera sans suite… Courant 1867, nous relevons, tout de même, une information annonçant l’édition d’un Almanach de Guignol. Ce sera le premier d’une longue série et il servira, peut-être, à une prochaine étude.

Le choc de l’image

Le 14 août 1870 voit la naissance d’un nouveau journal au titre prometteur : Guignol illustré [note]Guignol illustré, journal patriotique [puis] hebdomadaire, Lyon, août 1870-décembre 1871 (BM Lyon, 5392). Ce journal, dit « patriotique », paraît le samedi. La rédaction se situe 32, rue Impériale (actuelle rue de la République) ; l’administration et l’imprimerie chez Tournier, 2, montée de l’Annonciade.

Pour rester dans le ton de la période 1870-1871, en plein conflit, le rédacteur en chef est baptisé : « Légion » ! Le propriétaire-gérant se nomme Léon Bigot. Qui est-il ? Né à Courcemont, près du Mans, il vit à Paris. En 1867, il publie, à l’occasion de l’Exposition universelle qui se tient dans la capitale, un recueil intitulé : Paris-Guide. On y trouve des articles historiques et descriptifs de la capitale, écrits par divers hommes de lettres. Il vient donc chez nous avec la pensée de réaliser une entreprise similaire, pour l’Exposition lyonnaise qui doit se tenir en 1871 [note] Retardée par la Guerre de 1870, elle se tiendra, en fait, en 1872, sur le site du Parc de la Tête-d’Or.

Le souvenir des guerres du Second Empire à la Une du Journal de Madelon, 20 août 1876 (BM Lyon, 5407) Afin de mener à bien son projet, il cherche un éditeur et, bien sûr, désire impérativement obtenir l’assentiment d’écrivains lyonnais et leur collaboration à la réalisation d’un Lyon-Guide. Infatigable et doté d’une réelle énergie, Léon Bigot a bientôt tout préparé. Malheureusement, la guerre éclate et tout est remis en question. A la fin de 1870, son futur éditeur fait paraître des caricatures de circonstance, où figure notre marionnette légendaire. Léon Bigot fait remarquer : On pourrait adjoindre un texte à une suite de caricatures de ce genre, de manière à en faire une feuille populaire et patriotique. C’est une tâche assez lourde et vu le peu de succès et les déboires des précédents journaux fondés, elle n’est désirée par personne. Mais à toutes les objections, Léon Bigot trouve toujours une réponse. Il fait preuve de patience et arrive à convaincre quelques amis.

Devant cet homme, entreprenant et intelligent, ceux-ci cèdent et créent : Guignol illustré. Le numéro Un, daté du 14 août 1870, est vendu 10 centimes. On peut lire dans ce journal une multitude d’articles comme L’histoire du drapeau national depuis 1789, avec dessins à l’appui, La défense de Lyon, ou bien encore Le meurtre du Commandant Arnaud, Le théâtre des Célestins, Pierre Dupont, Jean-Baptiste Carrand… Mais, Léon Bigot est gravement malade et décède le 2 février 1871. Un certain Davèze lui succède.

Le prix de vente augmente alors de 5 centimes, puis Guignol illustré disparaît, sans doute fin 1871-début 1872. En effet, à la Bibliothèque municipale, la collection s’arrête au numéro 68 daté du 3 décembre 1871. Mais, entre Rhône et Saône, il y a des gones tenaces :Méfie-toi des gones que savent rien de rien, y sont capables de tout ! dit la Plaisante Sagesse Lyonnaise rassemblée par Catherin Bugnard, alias Justin Godart ! Fin septembre 1872, le 28 exactement, est édité un nouveau Journal de Guignol. Le responsable se nomme Mounard, la rédaction et l’administration sont situées 12, rue de la Barre. Six mois plus tard, Pierre Déchant en devient le gérant. Ce Journal de Guignol se vend jusqu’au 15 mars 1873. Soit six mois à peine !

En septembre 1870, existe un nouveau journal baptisé Gnafron [note]Gnafron, journal de la Révolution, Lyon, 1869-… (BM Lyon, 5474), qui se veut le journal de la Révolution et semble être né l’année précédente. Le gérant en est encore Stanislas Charnal. Le peu de numéros en notre possession – quatre à la Bibliothèque municipale, en tout et pour tout – ne peut révéler sa durée de vie.

Victor Hugo, lecteur de Guignol

Sentiments patriotiques et anti-allemands à la Une du Guignol, journal hebdomadaire humoristique, le 10 octobre 1914 (BM Lyon, 950633) Les mois passent, les journaux aussi et même rapidement. Il est proposé à la vente, le 17 avril 1875, le numéro Un d’un nouveau Guignol illustré. La rédaction est à Vienne ; le tirage se termine le 30 mai 1875. Son contenu est intéressant, il traite notamment de l’histoire de Lyon. Puis voici le Journal de Guignol illustré [note]Journal de Guignol illustré, Lyon, février 1876-1878 (BM Lyon, 5393), il est créé le 19 février 1876. D’abord imprimé à Grenoble, 8, rue Servan, il faut attendre le numéro 10 pour qu’il le soit à Lyon où il changera six fois d’adresse. Le n° 11, du 29 avril 1876, obtient une vente totale annoncée de 20 137 exemplaires et se vend au profit de la délégation d’ouvriers lyonnais à l’Exposition de Philadelphie. Le 3 juin de la même année paraît dans ses colonnes un poème en hommage à Victor Hugo, signé Cadet. Notre poète, très touché, écrit le 7 juin :

Les beaux vers que m’apporte Guignol avec son spirituel rire populaire, sont les bienvenus, et je vous remercie avec effusion, mon cher et cordial confrère. Votre ami Victor Hugo
. Le fac-similé de la lettre est publié pour la plus grande joie des lecteurs.

L’existence de ce journal est plus heureuse, car nous le feuilletons encore dans sa troisième année d’existence, avant sa disparition, au début de l’année 1878. Signalons la parution le 16 juillet 1876 du Journal de Madelon [note]Journal de Madelon, Lyon, juillet 1876-… (BM Lyon, 5407). La compagne de Guignol est représentée à la Une, tenant un batillon [note]Battoir des lavandières servant à battre le linge dans la main droite et de l’autre, une navette. L’éditorial s’intitule : 1ère lessive, 2e lessive…, signé : Jean-Baptiste Guignol, maître tafetâquier et présentement patron de platte. La durée de vie de ce périodique sera de quelques mois seulement.

Faisant suite au Journal de Guignol illustré, le 8 février 1878, est imprimé le premier numéro du journal Chignol et Gnafron [note]Chignol et Gnafron, journal des gones de Lyon politique, hebdomadaire et illustré. Il est réalisé à l’imprimerie Chanoine, éditrice du Progrès de Lyon, Lyon, février 1878-février 1881 (BM Lyon, 5474). Le gérant est Jean-François Theule et les bureaux sont situés au 71, rue de l’Hôtel-de-Ville (aujourd’hui rue Edouard-Herriot). Vendu 15 centimes, sa parution est abandonnée le 19 février 1881. Un an après, le 25 février 1882, L’Ancien Guignol [note]L’Ancien Guignol, journal politique, satirique, hebdomadaire et illustré, Lyon, février 1882-juin 1885 (BM Lyon, 5391) suit, domicilié 2, rue du Palais de Justice. Pas pour longtemps : sa parution s’achève le 27 juin 1885.

Pendant ce temps, le jeudi 14 septembre 1882, est mis en vente, pour 15 centimes Le Guignol de Lyon ; l’administration de ce nouveau journal est installée passage de l’Argue. Il se veut : Républicain, hebdomadaire, peu littéraire, très satirique et toujours de bonne humeur ! Malheureusement, il s’éteint au bout de 6 numéros. Quelques semaines plus tard, le 31 décembre 1882, paraît Le Guignol journal humoristique universel, la vérité sur tout, la justice pour tous. Nous le devons à l’imprimerie Pastel, 10, Petite Rue de Cuire alors que les bureaux se trouvent 1, quai de la Charité (actuel quai Gailleton).

Dans ce journal, nous relevons une nouvelle lettre de Victor Hugo ainsi rédigée : Vous êtes une pléïade, je vous salue ! Les rois avaient Triboulet. Les Lyonnais ont Guignol. Triboulet amusait et maudissait. Guignol amuse et fustige. J’entrevois l’aurore du jour, où, grâce aux malédictions de l’un et aux coups de trique de l’autre, la République rayonnera sans ombre sur la Monarchie oubliée au fond de son tombeau. Fraternité. Victor Hugo. Et Guignol de répondre : Est-ce tapé les gones ? En v’là un frangin que ne s’embarlificote pas en écrivant. Nom d’un rat ! Si je savions jabotter comme lui, je serais bientôt parmier ministre, et, alors gn’aurait du fricot pour tous les canuts. Mais ce journal sera tout aussi éphémère que les autres, puisque sa disparition intervient le 4 mars de l’année suivante.

Le Journal de Guignol illustré reparaît le 16 mars 1882. La rédaction se trouve désormais au n° 2 de la rue de Bonnel et l’imprimerie au n° 6 du quai de la Guillotière (actuel quai Victor-Augagneur) chez un certain Godard. Mais, à sont tour, dès le sixième numéro, il se volatilise. Puis, il resurgit, le 2 avril 1887. A la Une, figure un claironnant : Le revoilà !... Ben, oui, core une fois, les frangins, c’est Guignol, le vieux Guignol de soixante cinque et de septante six que se ramène pour vous faire rire – les braves gensses, s’entend – et faire peter le coquelichon aux pillandrins, aux grippe-yards et à tous les gones mouvants que vous délavorent. Aussi, qu’y tordent le pif, faut voir ! Il est domicilié au n° 14, rue Bellecordière ; MM. Donot, Patinaud, Poncet sont successivement directeur-gérant, jusqu’à la dernière parution du 22 janvier 1888. Et puis, les Lyonnais peuvent se le procurer à nouveau, au prix de 10 centimes, le dimanche 25 janvier 1891. Cette fois, la rédaction est sise 20, rue Cavenne et monsieur Charles Lesbos en est l’imprimeur-gérant, suivi par Jules Héritier de Vries. En titre nous lisons :
Le Journal de Guignol est le seul journal de Lyon qui soit réellement indépendant, n’étant sous la dénomination d’aucune coterie, ni aucun parti. C’est le cingleur [sic] de Monsieur Tout le Monde…

Guignol avec les poilus

La libération de Lyon vue par le Guignol, journal hebdomadaire humoristique, septembre 1944 (BM Lyon, 950633) Chaque année, au mois de janvier, une nouvelle série de ce énième Journal de Guignol recommence, sous un nouveau numéro Un. Puis, les années se succèdent, 1894, 1897, 1898. Cette année-là, la vente en gros se fait chez Madame Veuve Melin, rue des Quatre-Chapeaux. A l’intérieur du journal existe une nouvelle rubrique, celle des « Spectacles de Lyon ». Nous nous permettons d’en livrer quelques-uns : La photographie animée par le cinématographe Lumière, 1 rue de la République, près du Grand Théâtre. Liste des vues : le Caire, le Lancement d’un bateau, un Repas de famille au Japon, une Partie de cartes interrompue, etc. Prix d’entrée 0,50 francs.

Théâtre Guignol du passage de l’Argue : Monsieur Sans-Gêne, parodie en trois actes de Tardy, « Au Guignol du Gymnase, 30 quai Saint-Antoine, tous les soirs : Guignol à la cour de Russie, pièce nouvelle à grand spectacle et 7 tableaux. » Enfin, à l’Eldorado : « Pêcheurs de Tarente, ballet nouveau » ; à l’étude : « A Lyon z’y Gaiement, grande revue locale »
. Grâce aux documents de la Bibliothèque municipale, nous avons pu le consulter jusqu’en 1902.

Durant une dizaine d’années, nous n’avons rien trouvé d’intéressant. C’est seulement le jeudi 4 avril 1912 qu’apparaît sur la scène journalistique le Guignol illustré lyonnais parisien. Voici l’avertissement donné au lecteur :

Lyonnais, Parisiens, une grande nouvelle !... Le Journal de Guignol reparaît. L’ancien Guignol, celui qui fit tressaillir pendant plus de vingt ans tout Lyon, tout Paris et la France entière, l’ami de Victor Hugo, nous revient avec sa fidèle rédaction d’anciens magistrats, avocats, députés, sénateurs, ministres, etc.
Dans le numéro du 18 avril, est annoncée l’inauguration du monument Laurent Mourguet, avec photo à l’appui, et un article sur Guignol, de Paul Sicoti de l’Académie du Gourguillon, Lyonnais de Paris, président du Caveau lyonnais de Paris ! En avant-première nous lisons : Z’enfants ! c’est place du Doyenné que le mami Mourguet va dresser sa tente, c’est là qu’il va vivre immortel et immortaliser la place du Doyenné. Aussi Guignol et tous les gones bien pensants demandent aux nouveaux conseillers municipaux qui vont venir, de donner à la place du Doyenné le nom de Mourguet.

Rappelons en cette année 2008, année du bicentenaire de Guignol, que l’inauguration de ce monument se déroula le dimanche 21 avril 1912. Enfin, le samedi 10 octobre 1914, est mis en vente le numéro Un du célèbre Guignol [note]Guignol, journal hebdomadaire humoristique, Lyon, Editions de Guignol, 1914-1972 (BM Lyon, 950633) , journal hebdomadaire humoristique, encore dans bien des mémoires. Il coûte 10 centimes, son administration et sa rédaction sont abritées rue de la Quarantaine au n° 21. Son fondateur, Victor Lorge (1862-1920) [note]Responsable des Editions de Guignol, Lorge publie également Le Mémorial de la rue Sainte-Hélène d’Henri Béraud (1919) et Le Roman d’un vieux Grôléen de Georges Champeaux (1919), apporte dans ces feuillets lyonnais, un humour fin et subtil ; ce journal reflète bien l’esprit lyonnais et, à n’en pas douter, il est et sera le meilleur. Dès sa sortie, le lecteur prend connaissance de ce nouveau journal en ces termes : En faisant paraître notre journal, nous devons une brève explication aux lecteurs. Et d’abord, sa création vient-elle en temps opportun ? Dans ces moments si critiques, ne serait-il pas mieux de consacrer toutes ses énergies à la défense du sol national… Loin de nous toute idée de lucre ; le but que nous nous proposons est beaucoup plus noble : ne pas laisser éteindre l’esprit gaulois, la caractéristique de notre race, répandre partout la bonne humeur et la franche gaîté… En effet, en cette période difficile, il met du baume au cœur de nombreux Lyonnais ; chaque semaine, ils attendent sa parution avec une réelle impatience, il faut les voir se presser pour l’acquérir.

Les soldats, quant à eux, ne sont pas oubliés. Sur leur initiative et grâce à Guignol, un appel est lancé, car les poilus désirent ardemment recevoir des marionnettes et des pièces du répertoire. La souscription est fort bien accueillie. Elle permet l’envoi de ces colis et le maintien du moral de nos poilus. En novembre 1917, ce sont près de 300 poupées qui seront expédiées. Quelquefois, une photographie prise dans la cour d’une caserne ou près des tranchées vient illustrer un texte débordant de remerciements et rédigé par un de nos soldats-marionnettistes.

Cités à l’Ordre de la Fanny

Guignol, journal hebdomadaire humoristique, Lyon, Une du 24 février 1972, dessin de Qui (BM Lyon, 950633) En 1920, Victor Lorge décède ; la relève étant assurée, le journal continue d’être édité, car Joanny Lorge (1884-1964), fils du fondateur, prend les rênes de sa destinée. Il poursuit l’œuvre entreprise avec acharnement et lui donne un rayonnement sans égal. Sa popularité est telle qu’elle s’étend au-delà de notre département, surtout dans ceux de l’Ain et de l’Isère ; et l’un des dix commandements de Guignol, imprimé lors de sa première parution, prend tout son sens, car il faut savoir : Guignol, tous les samedis, par ta ménagère, sur la table sera mis, pour ta rate dilater, autant que ton estomac se garnira.

Oui, tous les samedis, tous les mercredis et enfin tous les jeudis, il est bel et bien présent chez ses fidèles lecteurs. Ils y trouvent, à travers son humour si caractéristique, ses sous-entendus pleins de saveur, un réel plaisir à lire les multiples bêtises humaines qui jalonnent, toujours d’ailleurs, notre vie quotidienne. En première page, Guignol délaye, à la sauce lyonnaise, un fait régional ou national agrémenté d’une délicate illustration ; tous les échos politiques émanant d’une mairie ou de la capitale alimentent les colonnes intérieures : Etendages de la semaine, Gongonnages, Par-ci, par-là, sont des articles savoureux. Le sport est également à l’honneur avec Guignol esportif, même si, parfois, l’on pose des questions du genre : La belote est-elle un sport ? On en pourrait discuter longuement… Comme exercice d’extension des bras, on ne ferait pas mieux, ni comme élévation verticale du coude lorsqu’il s’agit de boire le pot de Beaujolais qui a été joué ! Plus loin, on trouve la non moins savoureuse Chronique de la Mère Cottivet et enfin, en dernière page, les célèbres Petits potins régionaux. Ils apportent grâce à ses « correspondants », la nouvelle digne de paraître dans Guignol, sans oublier la fameuse rubrique : Cités à l’Ordre de la Fanny, sans commentaire !... De succès en succès, le journal fête le 2 000e numéro le 13 août 1953.

Hélas, Joanny Lorge meurt subitement en 1964. Il a 80 ans et laisse le flambeau à son épouse, à charge pour elle de souligner dignement les 50 années de leur journal. Les festivités ont lieu le 23 novembre de cette année-là, en présence d’une pléïade de Lyonnais avec en tête, le maire de Lyon, Louis Pradel.

Les années se succèdent, son accueil est moins prisé, les goûts ne sont plus les mêmes, du coup, sa parution s’achève en fin d’année 1970. Le journal est, malgré tout, racheté par Monsieur Bertin qui tente de le maintenir. Malheureusement l’esprit de Guignol est loin de rivaliser avec celui de ses fondateurs. Finalement, le journal disparaît des kiosques deux ans plus tard. Quelques persévérants, dont Roland Rolland, tentent d’éditer un nouveau journal. Celui-ci est mis en vente le 4 janvier 1978 pour la somme de 3 francs. Il a pour titre Allô Lyon… Ici Guignol ! [note]Allô Lyon…Ici Guignol et Roland Rolland, journal humoristique et satirique, dit tout sur tout pour tous, Lyon, janvier 1978-1978 (BM Lyon, 956 208) Mais au bout de quelques numéros, le journal, à la demande de Monsieur Bertin, comparaît au tribunal de grande instance. Allô Lyon…Ici Guignol ! constitue à ses yeux une contrefaçon de la marque « Guignol » déposée par lui. Suite à ce procès, sa parution est interrompue.

Ainsi cet historique, non exhaustif et sans prétention, sur les journaux de l’ami Guignol se termine. Refermons ensemble la dernière page de cette présentation d’un passé riche de plus d’un siècle d’impression. Ces recherches nous auront, tout au moins, permis de faire connaissance avec les principaux journaux de Guignol. Mais, si aujourd’hui l’hebdomadaire Guignol a disparu, notre marionnette, elle, est toujours bien vivante. Guignol personnifie l’esprit lyonnais, narquois, persifleur mais toujours plein de bon sens, alors s’il ne peut plus s’exprimer par l’écrit, souhaitons-lui de conserver son franc-parler et son accent !