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DON JUAN. 41
sont pas moins vives et moins ardentes que dans nos so-
ciétés plus mûres, mais où le cœur se déprave sans que
l'intelligence participe a ses erreurs et vienne justifier par
des sophismes la révolte des sens. Ce n'est pas un scep-
tique, c'est un impénitent.
Aussi tous ses blasphèmes ne' sont qu'une sorte de défi
à la lenteur de la justice divine : « Que le ciel te punisse
si tu ne tiens ta promesse, » lui dit une simple paysanne
lorsqu'il lui jure de l'épouser. — « Le ciel ! reprend Don
Juan, ah ! quel long délai tu m'accordes. » Tirso de Molina n'a
pas eu besoin, comme Molière,, de confier au valet de Don
Juan le soin d'avertir son maître ; rien n'est plus insigni-
fiant que le rôle du serviteur Catalinon : c'est Don Juan qui,
averti par sa propre conscience, se pose la question et y
répond toujours : « J'ai du temps devant moi. » Mais ce
temps sera bien court ; après quelques épisodes d'amour
nous touchons a la catastrophe, et c'est la que Tirso de
Molina nous montre, sous son jour véritable, le Don Juan
qu'il a conçu.
Tirso de Molina, comme pour aplanir les voies a la ven-
geance divine, fait violer à Don Juan les lois de l'honneur
chevaleresque, et, avant de le frapper, le dégrade a nos
yeux par une félonie. Dona Anna, fille du commandeur d'UUoa,
aime le jeune marquis de la Motta et en est aimée. Elle ap-
prend tout h coup que le roi a disposé de sa main pour un
jeune gentilhomme dont elle ignore le nom, et qui n'est au-
tre que Don Juan lui-même ; c'est une grâce que le vieux
Tenorio a obtenue ; mais son fils même n'en est pas encore
instruit. La douleur des deux amants est au comble : le mar-
quis rencontre Don Juan et lui fait naïvement part de son
malheur. L'entretien se passe devant la maison du com-
mandeur; derrière une jalousie, dona Anna a tout entendu;
elle voit son amant s'éloigner, Don Juan reste; elle le prend