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HISTOIRE D UN CRIME 33 I nja valise à la main, je me glissai au dehors et courus à la gare, où, eccléné de faim et de lassitude, j'attendis deux heures le premier train. * * * Je n'étais pas gai, et il y avait de quoi ! Pour un sot accès de sensiblerie, j'avais ruiné toutes mes espérances, perdu à tout jamais MUe Hildegarde, dont j'étais amoureux fou. Je m'étais fait moquer de moi, et par-dessus, mon pauvre oncle Cadet, qui avait tant fait pour son imbécile de neveu, partageait la solidarité de mon ridicule. J'aurais voulu être à cent pieds sous terre. Et pourtant, me disais-je, après tout, pourquoi la vie deRavageot aurait-elle mieux valu que celle de ce pauvre chevreuil? Ce joli animal, si doux, si inoffensif, amant des bois et de la liberté, éter- nellement fidèle à sa compagne, ne représente-t-il pas une supé- riorité morale sur ce plat valet, qui pour ronger des os, met son flair et ses crocs au service d'un maître; sur ce malpropre qui serait traduit à chaque heure du jour en police correctionnelle, si la loi pour outrage public à la pudeur était exécutée, sur cet ami qui demain peut vous mordre et vous communiquer la rage. On arguera pour excuse que c'est un malade irresponsable. Je n'y contredis pas, mais on est mordu tout de même. On dit par mépris d'un homme qu'il est un « cynique », de tel autre, qu'il est un « chien couchant ». A-t-on jamais pensé à dire, par mépris, qu'il est un chevreuil ? Tout au plus dit-on quelquefois d'un mari qu'il est un cerf, et encore ce n'est pas sa faute, et l'expression, loin d'avoir un sens humiliant, devrait avoir un sens compatissant. D'ailleurs ce n'était point par noire méchanceté, par une odieuse fantaisie que j'avais envoyé Ravageot sur les bords du Styx. Il fallait, de nécessilé, que l'un des deux mourût, du chevreuil ou de lui. Des dieux de l'Olympe, les uns prenaient parti pour Achille, d'autres pour Hector. J'avais pris parti pour Hector, et bien plus, pour un Hector sans armes, incapable de se défendre, de se donner au moins