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                         HISTOIRE D UN CRIME                       33 I

nja valise à la main, je me glissai au dehors et courus à la gare, où,
eccléné de faim et de lassitude, j'attendis deux heures le premier
train.

                                  *
                                 * *

   Je n'étais pas gai, et il y avait de quoi ! Pour un sot accès de
sensiblerie, j'avais ruiné toutes mes espérances, perdu à tout jamais
MUe Hildegarde, dont j'étais amoureux fou. Je m'étais fait moquer
de moi, et par-dessus, mon pauvre oncle Cadet, qui avait tant fait
pour son imbécile de neveu, partageait la solidarité de mon ridicule.
J'aurais voulu être à cent pieds sous terre.
   Et pourtant, me disais-je, après tout, pourquoi la vie deRavageot
aurait-elle mieux valu que celle de ce pauvre chevreuil? Ce joli
animal, si doux, si inoffensif, amant des bois et de la liberté, éter-
nellement fidèle à sa compagne, ne représente-t-il pas une supé-
riorité morale sur ce plat valet, qui pour ronger des os, met son flair
et ses crocs au service d'un maître; sur ce malpropre qui serait
traduit à chaque heure du jour en police correctionnelle, si la loi
pour outrage public à la pudeur était exécutée, sur cet ami qui
demain peut vous mordre et vous communiquer la rage. On
arguera pour excuse que c'est un malade irresponsable. Je n'y
contredis pas, mais on est mordu tout de même.
   On dit par mépris d'un homme qu'il est un « cynique », de tel
autre, qu'il est un « chien couchant ». A-t-on jamais pensé à dire,
par mépris, qu'il est un chevreuil ? Tout au plus dit-on quelquefois
d'un mari qu'il est un cerf, et encore ce n'est pas sa faute, et
l'expression, loin d'avoir un sens humiliant, devrait avoir un sens
compatissant.
   D'ailleurs ce n'était point par noire méchanceté, par une odieuse
fantaisie que j'avais envoyé Ravageot sur les bords du Styx. Il fallait,
de nécessilé, que l'un des deux mourût, du chevreuil ou de lui. Des
dieux de l'Olympe, les uns prenaient parti pour Achille, d'autres
pour Hector. J'avais pris parti pour Hector, et bien plus, pour un
Hector sans armes, incapable de se défendre, de se donner au moins