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23e LA REVUE LYONNAISE A deux heures trois quarts, le rideau se lève sur Ruy Blas. Une salve d'applaudissements salue Mme Sarah Bernhardt, à son passage derrière le décor, à la fin du premier acte. Les applaudissements se renouvellent, unanimes, nourris, enthousiastes, à chacune de ses entrées et de ses sorties. Après le cinquième acte, le rideau se relève. Mme Sarah Bernhardt descend sur le devant de la scène pour saluer le public. Des coins de l'orchestre, quatre ouvreuses jettent à ses pieds huit bouquets, tandis que d'autres sont lancés des avant-scènes de la troisième galerie. M. Joseph Desbois lui présente, par dessus la rampe, le chef-d'œuvre qu'il a composé pour elle : une jonchée de rieurs, dans un immense panier en osier doré. Un large ruban en satin blanc est noué à l'anse. Les deux bouts ont des inscriptions commémoratives imprimées en or : « A Sarah Bernhardt, la Presse lyonnaise, n octobre 1885; » et : « Représentation au profit de FŒuvre des fourneaux, théâtre Bellecour, Ruy Blas. » Des vingt- cinq bouquets qui recouvrent l'avant-scène, onze sont aussi de M. Desbois, quatorze de M. Baly. Mme Sarah Bernhardt joue, ou plutôt vit le rôle de dofïa Maria de Neubourg, une de ses premières et de ses plus merveilleuses créations. Elle est épuisée par le travail excessif qu'elle s'impose depuis une semaine. Elle a la gorge irritée par notre détestable climat lyonnais. Elle est nerveuse, souffrante. N'importe ! C'est toujours la tragé- dierfne incomparable, la sirène captivante, troublante, irrésistible. Son corps a des ondulations félines, sa voix des inflexions inimi- tables. La reine agonisante d'ennui module sa plainte touchante sur une mélopée douce et triste comme le chant d'une tourterelle bles- sée. L'amante a des coups de passion, brusques et terrifiants comme des éclats de tonnerre. Entre le troisième et le quatrième acte, elle fait la quête. Elle parcourt les quatre premiers rangs de fauteuils d'orchestre, puis tous les rangs de face des quatre galeries. Les spectateurs du « paradis » lui font une ovation, témoignage spontané de l'admiration et de la sympathie universelles qu'elle inspire. Le rôje de Ruy Blas est tenu par M. Philippe Garnier, le jeune et