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                   LES GRÈS DE BOUSGARDON                             145
maître de Bouscardon dédaignait des invitations auxquelles en
secret, il eût souhaité de se rendre, car il aimait à conter, comme
tous les vieillards, Antoine-Elie ne fuyait pas absolument les
plaisirs de son âge, et ce laboureur aimait à danser.
   Il lui arriva plus d'une fois de partir de Bouscardon à la tombée
de la nuit, vêtu en paysan, ses pauvres habits de drap fin — très
usés, bien démodés, mais enfin habits de gentilhomme, son linge»
usé aussi, toile blanche devenue batiste à force de la faire passer
dans l'eau du Gardon et de l'étendre sur les galets de la rivière au
rude soleil qui blanchit et qui brûle — enfermés dans une petite
valise. Il arrivait, après deux heures, trois heures, plus encore,
de course à vive allure, chez un ami, chez un parent, qui lui
donnait l'hospitalité. Il s'habillait, allait au bal, dansait sans quitter
la place jusqu'à trois heures du matin. Puis il rentrait chez son
 hôte, reprenait ses habits de gros drap, et le matin, à la première
heure, il était de nouveau à son poste, à la tête des ouvriers de
 ses champs.
    Point n'est besoin de le dire, il n'y avait pas de femme au
 château de Bouscardon. La mère d'Antoine-Élie, était morte
 ayant passé trente années de sa vie à Bouscardon, cousant sans
 relâche, sur la même chaise, près de la même fenêtre, vaquant à
 son maigre ménage. Elle mourut en mettant au monde un second
 enfant, une fille, qui ne vécut pas. Le fils aîné avait cinq à six
 ans ; il grandit avec les bergers, les laboureurs, mêlé à leurs jeux
 et à leurs travaux. A douze ans, on l'envoya à Nîmes, à Àlais, je
 ne sais, à l'école enfin. Il n'y apprit pas grand'chose, selon l'usage;
 il revint à dix-huit ans auprès de son père et ne le quitta plus.
    Leur existence se continua plusieurs années, séparée plutôt
 que mêlée, bien que le respect, l'affection, le dévouement d'An-
 toine-Elie pour son père ne se fussent jamais démentis, il souffrait,
 à la fin, d'une vie isolée et dure, qui suffisait au vieillard qui se
 l'était faite.
    Mais les dettes s'accumulèrent : il ne fut plus possible d'opposer
  aux créanciers un dédaigneux mépris ; quelques-uns se réunirent
 et osèrent envoyer les gens du roi pour saisir le pauvre mobilier
  des Crès de Bouscardon.
    Le vieux gentilhomme était dans sa bibliothèque, quand on vint
        FÉVRIER 1883. — T. V. "                                  10