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142                  LA REVUE LYONNAISE
parole d'être payés une fois — ou l'autre, en capital et intérêts
cumulés, — ils croyaient fermement, sincèrement qu'ils paie-
raient leurs dettes, comptant sur de bonnes récoltes qui ne venaient
guère, — qu'était-il besoin de se préoccuper du règlement de ces
sottes affaires ?
   Et de fait, comme les Crès de Bouscardoii. avaient encore plus
de terres en sommme qu'ils ne devaient d'argent, et qu'on les
tenait à raison comme incapables d'une action mauvaise ou sim-
plement mesquine, ils continuaient à emprunter, mais toujours
avec plus de difficulté, et ils persistaient à ne pas payer.
    Toutefois, ils avaient conscience. de leur situation difficile,
et sous ces physionomies rigides et hautaines, il y avait des amer-
tumes cachées, et nombre de déboires douloureusement acceptés.
    Ils ne sortaient que le soir, la nuit venant. Leurs habits de céré-
monie étaient de drap fin, mais râpés d'usure, portés jusques et
au delà de la corde, sans une tache, sans un trou, mais limés,
blanchis, ils ne tenaient guère que par la longue habitude qu'ils
 avaient de couvrir leurs maîtres.
    De leur ordinaire, je ne sais rien. Au temps de la chasse, le
 gibier abondait, le vieux cellier gardait encore quelques bouteilles
 vénérables qu'on en tirait pour les rares amis ou visiteurs, .que
 le vieux Crès aimait à traiter largement.
    La table, du reste, était frugale,la nappe en était souvent absente,
 et il probable qu'en toute autre saison qu'en automne, le salé,
 les châtaignes et rognon doux du Languedoc, le « cèbe », parais-
 saient plus souvent sur la table des châtelains que les savoureux
 rôtis que « donnent » - à la dernière extrémité — les moutons
                           —
 du Larsac, et les fines truites du Vidourle ou du Gardon.
    Le père et le fils ne s'en portaient pas plus mal. Ils avaient bon
 pied, bon oeil, et lorsque de l'étroite terrasse du château, leur place
 préférée, le vieux Crès sondait au loin la plaine, il surveillait de
 son regard d'aigle, ses valets occupés aux travaux des champs.
 Il savait son métier de propriétaire cévenol et s'entendait bien aux
 choses vieilles et nouvelles de l'agriculture.
    Découvrait-il quelque fainéant à relever du péché de paresse,
 quelque faute des laboureurs ?
    Alors empoignant des deux mains un énorme porte-voix en fer-