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VICTOR HUGO 417 1843, en lui enlevant une fille bien-aimée, lui imposa longtemps un silence presque ininterrompu. Il n'en sortait de loin en loin que pour donner des productions d'une valeur secondaire ; puis, vinrent d'autres événements, d'autres soucis : la surprise de 1848, les ora- ges politiques qui en résultèrent, le coup d'Etat du 2 décembre, finalement l'exil. La muse élègiaque se réfugia tout au fond de son foyer ; il n'en laissa sortir que la satire violente et amère. Les hyperboles de Juvénal, les obscurités de Dante, les personnalités de Gilbert, les hardiesses d'André Chénier, les ironies de Barthé- lémy se mêlèrent sous sa plume d'airain qui distilla, au lieu d'en- cre, du fiel. Les Châtiments, publiés en 1853, imprimés à l'étran- ger, introduits subrepticement en France, mordirent jusqu'au sang ceux qui y étaient notés ; mais les hommes de parti y applaudirent seuls franchement. Aussi, pendant la guerre de 1870-1871, à Paris ou en province, la récitation en plein théâtre de plusieurs des pièces qui y figuraient obtint-elle bien des bravos de circonstance. Dans cette série d'inspirations ardentes, la verve débordait, incon- testable mais exorbitante, faite de haine et de mépris. Quelquefois elle y touchait au sublime ; trop fréquemment elle y dégénérait en caricature et eu parodie et l'indignation y avait trop l'air d'une vengeance. A la même inspiration se rattachèrent plus tard deux poèmes assez courts : la Voix de Guernesey en 1868 sur le combat de Mentana et la Libération du territoire en 1873 au bénéfice des Alsaciens et des Lorrains. Trois ans d'ailleurs après les Châti- ments, en 1856, Hugo était revenu à des pensées non moins tristes mais plus calmes, à des effusions plus sereines et plus généreuses en faisant paraître les deux volumes de ses Contemplations, (Autrefois et Aujourd'hui), où les souvenirs du poète s'unissaient aux rêveries du philosophe, où les questions sociales étaient effleu- rées, où une sensibilité vraie s'exprimait sous une forme nette et pure. Il y produisait au jour bien des confidences, amassées en secret depuis une douzaine d'années. Un thème y revenait surtout, diversifié sous mille aspects avec toute la diffusion d'une inconso- lable douleur : c'était le touchant souvenir de cette chère créature, emportée au milieu de sa félicité delà veille par les vagues furieu- ses de l'Océan. JUi* 1881 - T. 1. 22