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                 LE MONDE OU L'ON S'ENNUIE                          3fi3
rieux assemblage d'un spirituel sceptique et d'une espiègle qui joue
la gravité moitié par amour pour son mari, moitié peut-être pour
s'amuser elle-même d'un tel rôle. Une duchesse du temps passé,
la duchesse de Réville, tante de la maîtresse de la maison, hé-
ritière de ces vieilles douairières qui, sans dédaigner la littérature,
prisaient surtout le bon sens; femme à l'œil vif, au jugement
sûr, ne craignant pas le mot un peu vert s'il est bien tourné, et le
tournant elle-même avec un singulier mélange de bienveillance
et de malice. Au-dessous d'elle sa petite-fille, Suzanne de Villiers,
la pupille de Roger de Céran, une adolescente dans la limite qui
sépare l'enfant terrible delà jeune fille à laquelle l'amour révélera
bientôt les convenances et la pudeur ; qui débute parla gaminerie,
finit par la passion et aboutit heureusement au mariage. C'est elle
qui fait sortir Roger de sa coquille artificielle d'archéologue pour
lui prouver à son contact qu'il a un cœur capable de s'enflammer,
tandis que Roger arrive comme le messager providentiel pour la
tirer elle-même d'une passe assez dangereuse; car ce pauvre
cœur malade courait grand risque de se fourvoyer.
   A ce propos qui forçait donc M. Pailleron à faire de Suzanne de
Villiers une fille naturelle? Gela fait bien inutilement tache dans
sa pièce. Ce qu'on apelle le demi-monde a dans ces dernières an-
nées tant envahi notre scène, on nous a tellement fatigués de cette
éternelle question de l'adultère, qu'on respirait à lire une pièce qui,
pour n'avoir pas été écrite, tant s'en faut, à l'usage des pension-
nats de jeunes filles, n'avait cependant rien de ce qui choque les
bienséances. Faire de Suzanne de Villiers une orpheline revenait
absolument au même, au point de vue du développement du caractère
et de l'effet théâtral. Mais il paraît que les auteurs de notre temps
seraient par trop désolés si tous leurs personnages étaient en règle
avec la morale. Un petit grain de bâtardise ne messied pas là où
l'adultère fait défaut. C'est le goût du terroir et le signe du temps;
un brin de scandale, même à dose homœopathique, est requis pour
le succès. Tant pis pour notre siècle !
   J'ai insisté sur cette esquisse des divers caractères parce qu'elle
fait le principal mérite de la pièce; quant à l'intrigue elle-même,
elle est fort peu de chose ; elle tient tout entière dans un chiffon
de papier. Le professeur Bellac a écrit à miss Watson pour lui