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282 LA R E V U E LYONNAISE
procurateurs a arraché même à un Tacite un mot involontaire de
commisération. Les administrés avaient bien rarement le courage
d'élever une plainte formelle ou une accusation contre les hauts
fonctionnaires impériaux. En l'an 225 de J.-C, on s'y est pourtant
déterminé d'une manière sérieuse. Un remarquable document re-
trouvé dans le Nord de la France, document connu sous le nom d'ins-
cription de Thorigny, d'après le lieu où il a été longtemps conservé,
nous en offre un exemple. On avait le projet de formuler, à la diète,
contre un gouverneur qui sans doute s'était rendu coupable de vexa-
tions plus qu'ordinaires, une accusation qui irait sous les yeux de
l'empereur. Ce projet fut entravé par l'opposition d'un député, loyal
ou suborné.Cet acte de dévouement à l'empire et les autres mérites
du député, sontcélébrés dans un long document auquel sont jointes
comme pièces authentiques deux lettres de l'ex-gouverneur et de
son successeur, également gravées sur la pierre. Il n'est pas sans
intérêt de lire l'exposé officiel de cet événement. « Claudius Pauli-
nus, mon prédécesseur», y est-il dit, « devait être, dans l'assem-
blée des Gaules et de la part de quelques individus se prétendant
lésés par le zèle qu'il avait déployé, l'objet d'une accusation au
nom de toute la province. Alors mon cher Sollemnis se déclara
contre cette résolution, objectant que ses concitoyens ne lui
avaient, en le créant député, donné aucun mandat de ce genre
et que, bien au contraire, ils lui avaient voté des éloges. Il coupa
court ainsi au projet et tous se désistèrent de l'accusation. De-
puis ce temps, je l'ai toujours de plus enplusaimé et estimé. »Les
riches cadeaux en argent et en vêtements envoyés à cet honnête
homme pour sa belle conduite ne nous intéressent pas ; mais ce qui
nous intéresse beaucoup, c'est ce témoignage saisissant de l'amère
résignation avec laquelle les députés gaulois durent abandonner
leur plainte et renfermer dans leur cœur l'injustice qui leur était
faite. Ils savaient bien que le chemin pour arriver à l'oreille du
prince était difficile à trouver, et que réclamer justice contre un
personnage puissant était une entreprise sans espoir.
Mais laissons de côté la diète et le synode, les prêtres et les dé-
putés, et, pour finir, jetons un coup d'œil sur le peuple lui-même,
sur les classes moyennes et inférieures de la société. De quelque
importance que puissent être pour l'historien politique les inscrip-