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182 LA R E V U E LYONNAISE ture récentes, vers lesquels l'émigration roule ses flots tumul- tueux et incessants dans leur cours. Prenons par exemple les paysans de la Saxe, de la Poméranie, du Brandebourg, de la Westphalie ou de la Prusse orientale, qui viennent de débarquer à New-York. Un peu effarés sans doute en face de ce mouvement, de cette liberté, de cette furie d'agitation qui les entourent, ils se remettent bientôt de la stupeur première ; le joug du caporalisme ne pèse plus sur eux ; ils se sentent maîtres de leur destinée, loin de ce Vaterlancl si beau dans les hymnes de Koerner et autres poètes gallophobes, mais où la condition sociale est si dure pour le travailleur et l'homme du peuple ; les voici qui choisissent le lieu où doit s'arrêter le pèlerinage et se préparer l'éclosion des générations nouvelles; bientôt le railway les emportera vers ces plaines immenses où la main de fer du prince de Bismark et la schlague réglementaire ne sauraient les atteindre. Quelque temps encore ils chanteront leurs Lieder favoris, dans la langue de Goethe et de Schiller, mais ce ne sera plus qu'une réminiscence musicale, et tout lien d'attachement à la patrie sombre et marâlre sera brisé. S'ils se souviennent encore de l'Allemagne, ce sera pour envoyer aux frères et amis de l'Europe les secours qui leur permettront de traverser, eux aussi, l'Atlantique... Arrivons à des chiffres : en 1776, les Etats-Unis comptaient près de trois millions d'habitants ; en 1870, cinq ans après la mort d'Abraham Lincoln, ce chiffre s'était élevé à quarante-deux ; en 1880, d'après le dernier recensement, c'était cinquante et un ! La ville de New-York de trente mille âmes, population en 1780, est montée à onze cent mille; ajoutez-y le faubourg gigantesque de Brooklyn (450.000 âmes), ceux de New-Jersey City, Hobboken et Williamsburg, vous arrivez au chiffre approximatif de deux mil- lions d'habitants. Passez à Philadelphie, 850.000 mille; à Boston, 475.000; à Baltimore et Saint-Louis, 350.000; à Fitkburg, San- Francisco, la Nouvelle-Orléans, Cincinnati, Louisville : plus de 200,000, et chaque jour voit augmenter ces chiffres. Transportons-nous maintenant au nord de l'Etat des Illinois, vers Chicago, cette belle reine de l'Ouest, comme disent les Amé- ricains. Qu'était Chicago avant 1830 ? une plaine fangeuse noyée sur les bords du lac Michigan, où quelques Indiens chassaient le