Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
                     L E T T R E S DE VALÈRE                      111
de dire qu'il n'exigerait absolument rien de Valère qui fût contraire
à ses idées. Il lui offrit cent francs par mois, qui au jeune homme
parurent une fortune.
    Les bureaux étaient dans la rue des Gélestins; l'imprimeur était
Mougin-Rusand, aux Halles de la Grenette, et Kauffmann avait
son cabinet en rue des Prêtres, dans une maison d'allée sordide,
avec fenêtre sur la Saône, à vue charmante. Il y avait en ce temps
à Lyon une femme à ceinture dorée, excessivement jolie, spiri-
tuelle, dit-on, jeune, très en vue, très courue et que l'on connais-
sait sous le nom de Léontine. Un matin d'été, Kauffmann et Valère
virent une femme, les bras nus, se précipiter dans la Saône du quai
de la rive opposée, près du pont Tilsitt. C'était Léontine. On fut
assez heureux pour la repêcher. On s'aperçut alors que sa tête était
dépourvue de sa magnifique chevelure noire. Le matin même elle
avait été coupée, dans un accès de fureur jalouse, par le de cujus
qui, pour le quart d'heure, était le propriétaire de la poste aux
chevaux dont les bâtiments, exhaussés, sont devenus l'hôtel d'An-
gleterre, place Perrache. Lorsque, quelques heures plus tard, le
perruquier, à son heure accoutumée, se présenta pour coiffer Léon-
tine, qu'il trouva les cheveux à la Titus, ce perruquier, qui était
un artiste, entra dans une telle indignation, qu'il voulait à toute
force aller se couper la gorge avec l'auteur du crime. Léontine dis-
 parut de Lyon presque aussitôt après. On m'assure qu'ayant hérité
d'un Anglais, elle vit aujourd'hui, respectable châtelaine, dans le
 département de l'Isère. Et voilà comment la vertu finit toujours par
être récompensée.
    G'est dans ce cabinet que Kauffmann « faisait » le journal tout
 seul, ôtez Valère, qui lui apportait parfois des articles, mais dont
 toute la tâche obligée se bornait à quelques coups de ciseaux dans
les journaux de départements. Kauffmann, chauve, nez mince et
 tarabiscoté, rédigeait ses articles sur de petits bouts de papier que
 le garçon portait l'un après l'autre à l'imprimerie. De cette façon,
 il écrivait le milieu de l'article sans en relire le commencement, et
 la queue sans en relire le commencement ni le milieu. Tout cela
 d'une calligraphie à faire crever de jalousie Rrard et Saint-Omer,
 sans jamais, au grand jamais, une rature ni sans manquer un point
 sur un i. Valère était ébaubi de ce procédé. Il le faisait songer Ã