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88                       LA REVUE LYONNAISE
à lui et ce qui lui est le plus précieux : il y a, par conséquent,
dans l'homicide la culpabilité du suicide et celle du vol le plus grave
réunies et accumulées. Yoilà une première raison qui me fait re-
garder l'homicide comme plus immoral que le simple suicide.
   En voici une seconde.
    Ces deux actes ne diffèrent pas seulement en eux-mêmes, mais
encore par les sentiments qui les déterminent et par les dispositions
morales qu'ils supposent dans leurs auteurs. Le suicidé peut être
un homme honorable, â beaucoup d'égards, qui, par passion ou
par faiblesse, en est venu à se donner la mort, tandis que l'assassin,
surtout s'il a agi avec préméditation, est presque toujours un être
perverti, qui tue sous l'influence d'une passion indigne de notre
sympathie. Celui qui met fin à ses jours se porte souvent à cette
terrible extrémité parce qu'il se repent des fautes qu'il a commises
 et qu'il appréhende d'en commettre encore. Tantôt c'est un ivrogne
 endurci mais honnête, qui regrette amèrement les mauvais traite-
 ments qu'il a fait subir à sa femme et à ses enfants et qui, pour
 s'en punir et les en préserver désormais, s'ôte la vie ; tantôt c'est
 une jeune fille qui, craignant de faillir, se suicide pour rester
 pure ; tantôt c'est un père qui, ayant perdu au jeu la moitié de sa
 fortune et se jugeant incapable de résister à sa funeste passion, se
 brûle la cervelle pour sauver l'avenir de sa famille1. Sans doute
 ces infortunés sont coupables, parce qu'on peut presque toujours
 lutter contre la passion et que, dans tous les cas, ils ont eu primi-
 tivement le tort de s'en rendre les esclaves; mais enfin ils sont
 animés de bons et généreux sentiments : les assimiler aux assas-
 sins, c'est s'exposer à être démenti par le cri de la conscience hu-
 maine.
    D'un autre côté, la statistique constate qu'il se produit moins de
 suicides parmi les forçats et les filles perdues que dans les autres
 classes de la société. D'où cela peut-il venir ? N'est-ce pas de ce que
 ces misérables sont descendus à un tel degré d'abjection qu'ils n'en
 ont plus le sentiment et y croupissent comme dans leur état naturel,
 tandis que la seule idée d'être ravalés si bas ferait bondir des cœurs
 plus nobles et les exalterait jusqu'au suicide. Prenez deux hommes

     * Y. Briôrre de Boismont, Bu Suicide, passim.