Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
                                 LE S U I C I D E                                 85

 permis de se soustraire. Ses, devoirs de citoyen mêmes, qui l'as-
 surait qu'il n'aurait pas à les remplir de nouveau? C'est ce que
 Napoléon a remarqué après Montesquieu : « 0 Caton, s'écrie-t-il,
 si vous aviez pu prévoir l'avenir, si vous aviez vu par la pensée
 César percé, dans le sénat, de vingt-trois coups de poignard et
 le drapeau de l'ancienne république relevé sur toute la face du
 monde romain, vous seriez-vous donné la mort? »
    Un genre de suicide plus étrange et plus répréhensible, c'est
 celui qui a son principe dans l'oisiveté, l'ennui, l'imagination et les
 rêveries malsaines dont elle aime à se bercer. Dans cet état mental,
l'homme, atteint d'une débilité et d'une mollesse incurables, ne peut
 pas se décider à prendre virilement en main la direction de ses
facultés : il laisse ses pensées, ses sentiments et ses actes se pro-
 duire au hasard et flotter à l'aventure ; il rêve au lieu de méditer ;
il imagine au lieu d'observer ; il spécule au lieu d'agir. Les suicides
 de cette espèce se produisent surtout aux époques où les vérités
morales et religieuses, qui avaient éclairé les générations précé-
dentes, venant à pâlir, les âmes s'agitent au hasard, au sein d'une
nuit funèbre, sans savoir vers quel but elles doivent se diriger ni
à quel bien elles doivent se prendre. C'est pourquoi certains hommes
se créent alors par la pensée un monde imaginaire qu'ils préfèrent
au monde réel et du sein duquel ils dédaignent le vil troupeau des
humains, jusqu'à ce qu'un beau jour ils s'aperçoivent qu'ils vivent
dans le vide, parmi des fantômes sans réalité, en dehors de toutes
les conditions ordinaires de l'existence. Ils n'ont plus alors qu'à
mourir ou qu'à faire effort pour revenir à la véritable vie. Tels sont
le Sérénus de Sénèque et le Stagyre de saint Jean Chrysostome,
le Werther de Gœthe et le René de Chateaubriand}. Or, chez
les hommes de ce caractère, le suicide est également déterminé par
l'oubli de la morale et du principe fondamental sur lequel elle repose.
Chez eux, en^effet, le pouvoir personnel a cessé de tenir les rênes,
de sorte que leurs énergies diverses se déploient avec une puissance
plus ou moins grande, mais sans aucune direction fixe. C'est un re-
tour à l'activité instinctive par laquelle chacun de nous a commencé
   1
     V. sur ces personnages, Saint-Marc-Girardiu (Cours de littérature); M. Marfcha
(tes Moralistes sous l'empire romain), et M. Caro (Nouvelles études morales
sur                      le                    temps                      -présent).