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DU SUICIDE 7 se. Il veut qu'en expiation de son crime, son corps soit enseveli sans honneurs, dans quelque endroit inculte et ignoré, et que nulle colonne, nulle inscription ne désigne le lieu où reposent ses mal- heureux restes 1 . Platon, on le voit, considère le suicide comme un crime, tout en se montrant disposé à regarder les douleurs et les craintes qui le déterminent comme autant de circonstances qui en atténuent la gravité. Quant aux raisons qu'il donne à l'appui de son opinion, elles ne manquent pas de solidité, malgré la forme populaire dont il les a revêtues : elles consistent à dire, ce qui est très vrai, que l'homme a une fin et qu'il ne lui est pas permis de s'en écarter. • Les disciples d'Aristippe et ceux d'Epicure croyaient générale- ment à la légitimité du suicide. L'un d'entre eux, Hégésias, l'en- seigna publiquement à Alexandrie, et obtint un tel succès qu'un grand nombre de ses auditeurs se tuèrent en sortant de ses leçons. A Rome, l'hédonisme ne fit pas moins de ravages. Ses adeptes éprouvaient-ils quelque malheur ou seulement quelque mécompte, ils réunissaient leurs amis à table, se faisaient servir les mets les plus délicieux, les vins les plus exquis et se donnaient tranquillement la mort, après avoir savouré une dernière fois toutes les jouissances de la vie. Cette manière de penser et d'agir était assez conforme aux principes de la secte : quand on considère le plaisir comme la véritable finderhomme,on doit trouver fort naturel et fort légitime de sortir de ce monde dès qu'on n'y a plus aucun plaisir. Les stoïciens se prononcent encore plus formellement queles épi- curiens en faveur de la mort volontaire. Sénèque, qui la décrit quelque part comme un mal contre lequel il faut se prémunir, la présente ailleurs comme une suprême ressource à laquelle il est bon de recourir dans certaines circonstances : « ïu te plains d'être esclave? dit-il. Vois cet arbre! la liberté pend à ses branches ! » Suivant Marc-Aurèle, c'était une des prérogatives du sage de pouvoir sortir à son gré de la vie, comme on sort d'une chambre pleine de fumée, sans y être poussé par aucun mal, mais unique- ment parce qu'il n'était plus bon à rien dans ce monde. « Mais ce courage, dit Kant, cette force d'âme, qui nous fait braver la mort 1 Platon, Lois, I. IX.