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       Au début du règne de Louis-Philippe, la place Bellecour était encore fort peu
 sûre, au dire de M m e Girard ; à la traverser, la nuit, on risquait « sa bourse » ou « son
 existence », car elle n'était éclairée que par « la lueur pâle de quelques réverbères ». Le
 jour, elle se trouvait « inabordable dans les trois-quarts de son enceinte » ; on y rencon-
 trait partout « d'immenses flaques d'une nature qui se devine, mais qu'on ne peut pas
 nommer ». Déjà, sans doute, comme quelques années plus tard, les gamins des alen-
 tours venaient jouer au « quinet » dans les parties praticables et leurs « callichets »,
 pointus des deux bouts, compromettaient « la sûreté des citoyens »7.
       La Promenade, plus obscure encore le soir venu, était fréquentée par « une déplo-
 rable société » ; hommes et femmes, tout un monde interlope, semblait « s'être
 donné rendez-vous sous les tilleuls ». Mais, de midi à trois heures ( et grâce à l'établis-
 sement du pavillon, dira M m e Girard), une élite élégante se réunissait sous les ombra-
 ges. On y voyait apparaître, vers midi, les « fashibnables, en chapeau gris », « une
 baguette à la main », « l'œillet national au chapeau ou à la boutonnière ». Quittant leur
 « tilbury », ils venaient « jeter quelques tendres regards » sous les tilleuls, où se prome-
 naient de jolies Lyonnaises « parées de toutes les élégances que fournissent les maga-
 sins de nouveauté de la rue Vivienne » 8 .
       Quelques années plus tard, la promenade sera, l'après-midi surtout, animée, et
 bruyante de jeux, de rondes d'enfants et de musiques. On y entendra des parades
 d'artistes ambulants» et, parfois, les marionnettes de Ladre, dit le père Thomas, qui
 donna souvent la réplique à Mourguet et fut, dit-on, le prototype de notre Gnafron.
 Sous les arbres, c'est alors « un bazar de jeunes filles à marier, un muséum de modes et
 de chroniques ». « Tout Lyon fashionable (c'est l'épithète à la mode), tout Lyon oisif,
 noble, élégant, se donne là rendez-vous » 9.
       C'est pour attirer et retenir cette clientèle aristocratique que les Girard, plus
ambitieux que sages, entreprirent de faire du pavillon de Bellecour « un véritable
Eldorado ». En avril 1831, ils avaient pris à bail pour neuf ans, de l'adjudicataire
primitif, le café, la ferme des chaises et des divers kiosques établis ou à établir sous les
Tilleuls ; en 1834, ils commencent à agrandir et à décorer leur tente en planches et en
« mortier bâtard ». Ils accolent d'abord, à chacune de ses entrées, un vaste tambour,
puis, dans la partie du Pré de Bellecour qui la sépare de la façade ouest, ils créent un
jardin qu'ils plantent d'acacias et où ils disposent des tables entre des parterres de
fleurs. Le jardin établi, ils l'entourent d'un grillage, puis le font couvrir et clore sur les
côtés. Le jardin devient ainsi la « galerie du Pavillon », longue d'environ 28 mètres,
éclairée par de hautes fenêtres à plein cintre, décorées de vitraux de couleurs. La

   7. Le Fanal du Commerce, 25 février 1842.
   8. La Glaneuse, 19 juin 1831 (« Une journée sous les Tilleuls de Bellecour »).
   9. L'Entr'acte lyonnais, 23 juin 1839.