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AU PAYS DES CHOTTS 285
vers l'Afrique où nous allions, vers ces régions attirantes et
curieuses si près de nous, si loin de notre civilisation et de
nos mœurs. Elles nous apparaissaient baignées d'une clarté
de rêve à travers laquelle l'or d'un soleil de feu environnait
tout de sa gloire, s'accrochait aux palmiers, vêtait d'un
manteau royal les murs blanchis à la chaux des maisons,
irradiait les croissants des minarets, fusant dans le velours
du ciel l'éblouissement de leurs marbres. Il nous semblait
voir défiler de longues théories d'Arabes majestueusement
drapés de blanc, de femmes toutes blanches aussi, au voile
de sphinx, nous regardant de leurs grands yeux aux lueurs
d'étoile. C'était comme une incomparable gamme de cou-
leurs se déroulant à travers l'infini mystérieux. Et sous
l'impression de ce rêve c'est à peine si nous jetons un regard
distrait sur l'île de Sardaigne qui nous accompagne pourtant
pendant toute une journée, de ses longues côtes abruptes,
nues, découpées, sans vie ; parfois s'affaissant comme si elles
allaient s'engloutir, parfois, au contraire, se gonflant plus
noires, plus tristes sur un fond uniformément bleu.
Le soir, nous laissons sur notre "gauche, tout près de
nous, le port minuscule de Saint-Pierre caché au fond d'un
repli de terrain avec les deux rochers de la Vache et du
Taureau, sentinelles avancées sans cesse en éveil. Et la
nuit commence après laquelle la réalité du rêve va nous
apparaître.
A cinq heures nous sommes debout, vite, hors des
cabines où l'air manque, sur le pont balayé par le vent du
matin, propre de sa toilette d'arrivée. Le jour est venu,
mais hélas ! gris, indécis ; de gros nuages se pourchassent
sur nos têtes, une pluie fine, froide, vient même de temps
en temps nous faire frissonner. Le salut de l'Afrique ne
vaut pas l'adieu de la France.