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220                    HENRI HIGNARD

même de les faire attendre. Voici ton tour maintenant, et
je t'appartiens tout entier.
   Mon bon ami, ta lettre m'a attristé, parce qu'elle m'a
montré que tu souffres maintenant, et que tu es dans un
moment de crise, qui, pour quelques-uns a mal tourné.
Mais elle ne m'a pas effrayé, parce que moi-même je
connais la maladie, que j'en ai souffert, puisque j'en ai
guéri complètement, et que je compte au moins autant sur
ton bon sens que sur le mien propre. Oui, mon ami, je
me suis trouvé dans l'état que tu me dépeins, et, du reste,
n'est-ce pas l'état de tous les jeunes gens de notre époque?
Et même, s'il faut tout te dire, j'en ai souffert récemment
encore, et je t'envoie une lettre que mon bon Olivaint
m'écrivit de Grenoble, en réponse à une des miennes qui
avait plus d'une analogie avec la dernière que j'ai reçue de
toi. Lis cette lettre, mon ami, et si tu y penses sérieuse-
ment, elle te guérira comme elle m'a guéri. Tu verras,
mon bon ami, par cette lettre, que comme toi j'éprouvai
des douleurs physiques, que comme toi je me laissais aller
à un découragement complet. Je suis bien revenu de toutes
ces misères, et maintenant, lorsque j'y pense, je demande
pardon à Dieu de m'y être abandonné si longtemps.
Lorsque je cherche par une méditation sérieuse et impar-
tiale à en découvrir la cause, je la vois avec la dernière
évidence dans une imagination exaltée, dans une vanité
secrète qui me faisait désirer de faire de grandes choses, et
dans une faiblesse d'âme, qui reculait devant la peine et la
fatigue, les conditions indispensables de notre existence
d'ici-bas. Tous ces désirs de mourir, je les prenais pour
des sentiments religieux, "pour la noble impatience d'une
âme qui brûle de s'unir étroitement avec la majesté divine,
de retourner dans sa céleste patrie, dans le sein de son père;