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DEUX AMITIÉS 223 complimentez-la sur ses vers. Que voulez-vous, c'est sa marotte, à la pauvre enfant. —Faut-il, ainsi que vous, la flatter de l'espoir de trouver un éditeur ? — Oui, chez l'épicier du coin, répond Mathilde avec un rire qui égrène des perles. Cette chère enfant, il fallait bien l'attirer auprès de moi, je m'ennuyais tant pendant votre absence. J'avoue qu'elle commençait à devenir monotone ; mais dites-moi, j'espère que votre famille est assez édifiée maintenant sur mes goûts simples et champêtres, et que notre union ne rencontrera plus d'obstacles. — Sans doute, mais que diable vouliez-vous aller au bal pendant la première année de votre veuvage ? votre sacri- fice a-t-il été si grand ? — Certainement, ingrat. Oh ! il paraît que ce n'est pas Marie, tant mieux. — Pourquoi l'avoir invitée si cela vous ennuyait ? — Pouvais-je faire autrement ? Les bonnes mesdames Werner et Desnoyelle auraient répété à qui eût voulu les entendre : O l'ingrate! l'oublieuse ! la Parisienne ! Je n'eusse été bonne qu'à brûler en place de Grève ! Eh ! Gustave, on voit bien que pour votre bonheur, vous ne connaissez pas les vertus de province ! Marie n'avait pas perdu un mot de cette conversation : le sang empourprait son visage, ses oreilles bourdonnaient, les larmes affluaient à son cerveau ; son cœur, son amour- propre saignaient d'une vive blessure. Que faire?... en- trer, démasquer cette femme artificieuse qui s'était jouée de son amitié, de sa confiance naïve ? Cela répugnait au carac- tère réservé de Marie. Se faire annoncer auprès d'elle, comme si elle n'eût rien entendu, était au-dessus de ses forces. Il ne lui restait qu'un parti, la retraite. Sortant donc avec précaution du cabinet, elle se dirigea vers la porte de