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382 RENÉ DE LUC1NGE
—Sire chevalier, poursuivit le vieillard, deviens notre
chef, remplace le valeureux Occhioli, qu'une mort glo-
rieuse nous a enlevé, et nous donnons la liberté aux quinze
chrétiens tombés avec toi dans nos fers. Tu nous com-
manderas dans une difficile entreprise sur Rhodes, tu au-
ras la moitié du butin, et tu combattras également les
ennemis de ta foi.
René frémit à la pensée de ce singulier esclavage.
—J'accepte, répondit-il mais si dans deux ans je vous
ai conduit toujours à la victoire, je serai libre à mon tour.
Les forbans le jurèrent sur leur épée, et après de tou-
chants adieux avec les chevaliers auxquels René répétait :
« Qu'importe ma mort, si je vous sauve ! » les pirates, fidè-
les à leurs promesses, les déposèrent dans l'île de Malte,
au pied du bastion Saint-Georges, Ã la faveur d'une nuit
obscure.
Resté seul,le chevalier de Lucinge sentit son cœur se
briser. Il eut une nuit de cruel abattement ; puis son
grand courage l'éleva au-dessus de sa mauvaise fortune.
Les corsaires jurèrent soumission à René, qui forma
le projet d'étudier les mœurs de ces hommes déchus et
extraordinaires. Dans le nombre se trouvait un jeune Es-
pagnol d'une figure intéressante. Il inspira au chevalier
un profond intérêt, et il résolut de l'arracher à son im-
pitoyable maître. Pedro raconta son histoire à René: Forcé
d'entrer dans un cloître, sans vocation, il s'était laissé en-
rôler par les forbans pour reconquérir sa liberté, et gémis-
sait de l'existence dégradée qu'il s'était faite. René devint
pour le malheureax jeune homme une lumière dans ses
ténèbres; il s'attacha à son protecteur avec tout le dé-
vouement d'une âme ardente et promit de le suivre en tous
lieux.
Cependant, au milieu des égarements des forbans, le