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506                L'AFFÛT DU LOUP BLANC.

de Grenaille, nom caractéristique, comme on le verra.
    Ce qu'il avait chez lui de plus remarquable encore que son
chapeau, son costume et sa tournure, c'était sa tête. Autant
que la face humaine peut ressembler au museau d'un animal,
autant le visage de Grenaille ressemblait au museau d'un
chien. Une raie grisonnante partait du front et se terminait
à l'occiput, pointu comme celui d'un braque. Les cheveux
longs et incultes retombaient de chaque côté des tempes
comme les oreilles d'un caniche. Les sourcils étaient roux,
le nez rudimentaire, les narines larges, les maxillaires allon-
gés , la bouche bien fendue , les yeux presque ronds, et
l'iris tellement dilatée que le blanc de la cornée se voyait
à peine. Malgré cette singularité de lignes, la physionomie
n'avait aucun caractère de bestialité. Le regard était franc,
le sourire bon, l'ensemble intelligent. Certes, Grenaille
 n'était pas beau, mais il n'avait rien de repoussant. On
 trouve beaucoup de gens qui, avec des traits réguliers, ont
une figure moins sympathique.
    Jean Castagnet, dit Grenaille, était le plus fort chasseur de
la Roche; ce surnom lui venait d'une habitude incorrigible.
Toutes ses poches contenaient à toute heure des grains de
plomb, des bourres et même de la poudre. Les grains de
plomb s'intercalaient entre le manche et la lame de son cou-
teau, obstruaient le tuyau de sa pipe, et tombaient en crépi-
tant sur le sol dès qu'il prenait son mouchoir ou sa blague;
le poussier de poudre se mêlait au tabac et produisait sou-
vent dans sa pipe de petites explosions qui en projetaient le
contenu au nez du fumeur, et même au nez des voisins. Mais
Grenaille ne se préoccupait nullement de ce détail. Sans être
en règle avec la loi, Grenaille n'était pas tout a fait bracon-
nier. Il abandonnait le fusil pour le râteau ou la faucille, à
l'époque des foins et des moissons. Il prenait même de temps
en temps, tous les trois ou quatre ans, un permis de chasse,