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L'AFFÛT DU LOUP BLANC. 807 et le tenait pour bon tan! que le papier n'était pas en lambeaux, comme il estimait son chapeau très-convenable tant que le feutre n'e'tail pas en charpie. Grenaille donnait plus de gibier qu'il n'en vendait. Il n'était point de malade dans la commune que Grenaille ne lui apportât quelque succulent rôti. Doux, serviable, toujours prêt à obliger le premier venu, il était aimé de tout le monde, et le garde-champêtre aurait eu tout le village sur le dos s'il s'était avisé de regarder de trop près le permis de Grenaille. Quant aux gendarmes... la brigade est à cheval, et le pays est tout en montagnes!... Une petite maison assez délabrée, un champ assez mal en- tretenu et une vigne inculte, mais où les tourdres abondent en automne, suffisaient à Grenaille, avec le produit de sa chasse, pour vivre, sinon dans l'aisance, du moins loin de la misère. La Roche est un pays encore giboyeux, parce qu'il n'y a point de terrains loués, ni de gardes particuliers qui braconnent effrontément toute l'année, sous l'égide de leur plaque, pour le compte des adjudicataires, ou pour leur propre compte, et qui ne tuent les renards qu'en hiver, parce que la peau a plus de prix. Grenaille avait essayé de dresser des chiens pour les mes- sieurs du chef-lieu, qu'il guidait parfois dans leurs excur- sions cynégétiques; mais il avait des idées déplorables sur l'éducaiion de ces utiles compagnons de chasse et sur leurs devoirs. Le meilleur était, à son point de vue, celui qui mar- chait le plus scrupuleusement dans l'empreinte de ses sou- liers ferrés. Grenaille faisait lever le gibier a coups de pierres. 11 connaissait chaque buisson, chaque touffe de la- vande, chaque gîte; un chïen furetant devant lui n'était qu'un obstacle qui gênait le tir ou débusquait trop tôt le gi- bier. Courants, pointers, épagneuls devenaient en ses mains de véritables mazettes ; on comprend qu'avec un pareil système, les clients n'avaient pas tardé a manquer, et Gre-