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                    SEJOUR DE PIGALLE A LYON.                       395
 être heureux. Et vous, Monsieur, fit-il, en s'adressant à l'homme
 de la loi, veuillez suspendre la vente ; bientôt vous n'aurez
 plus qu'à déchirer votre procès-verbal. Et comme il l'avait dit,
 il le fit : presque tout son trésor fut donné à ces pauvres gens.
    « Quand on lui parlait de cette anecdote de sa jeunesse : «Le
  « fait est vrai, répondait-il en souriant, et le soir je vins souper
 « avec ces braves Lyonnais : jamais je n'ai fait un repas plus
 « joyeux. »
    « II comprenait que pour entrer à Paris d'une manière utile,il fal-
 lait le faire avec honneur: aussi travaillait-il avec ardeur à la statue
 dont il avait conçu la première idée devant les chefs-d'œuvre
 conservés à'Rome. Il faisait et refaisait son modèle en cire, en
 argile, en terre cuite, en plâtre; ie drapait, le déshabillait, le
 modifiait de mille manières, il s'agissait d'un Mercure. Les
 grandes espérances qui reposaient sur ce Mercure, qui devait
décider de son avenir, le rendaient exigeant. Aussi donnait-il à
cette étude, tout le temps que lui laissaient ses travaux salariés.
Pour son Mercure, il oubliait de veiller sur sa santé. Quinze ans
de travaux et de privations avaient miné la forte constitution
de Pigalle. Sa taille haute et noble, ses membres vigoureux,
avaient fléchi sous le fardeau ; la maladie vint briser l'homme
que la misère n'avait pu faire plier.
    « Il demeurait alors dans la même maison qu'une femme âgée
et presque aussi pauvre que lui. Cette bonne voisine s'occupait
du ménage de ce jeune homme, dont l'air franc et honnête,
l'énergie et jp sage conduite l'avaient intéressée. Elle s'assit près
du chevet du malade et ne cessa de veiller sur lui, pendant les
trop longues semaines qu'il dut rester couché. D'abord elle dé-
pensa les économies de l'artiste, et bientôt elle en vit la fin;
puis elle entama les siennes qui se trouvèrent épuisées, quand
Pigalle, à lui-même rendu, put se lever et apprécier sa po-
sition.
    « Il comprit qu'il lui fallait rentrer à Paris, pour sortir de la
misère qui l'etreignait ; il regarda son Mercure, et cette fois il
fut content : il entrevit l'avenir qui l'attendait. Mais quand il sut
comment et à quel prix il jouissait de cette vie, qui bientôt devait