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LETTRES BAD0ISES. 3G1 ébauché, dans un accès de gracieuse humeur, ce petit para- dis terrestre d'environ deux lieues carrées, puis est venu M. Benazet, pour y mettre la dernière main. Ce dernier, avec son grand râteau d'or, enlève tous les jours, non seulement chaque pierre qui ose se montrer sur les gazons de Bade, mais encore les pièces d'or qui s'aventurent sur certain autre lapis vert. Ne confondez pas, néanmoins, avec le bon Dieu. M. Benazet (quelles que soient les qualités personnelles de ce dernier), ni la banque de la roulette, sans miséricorde, avec le ciel qui en est plein. Il serait mieux de comparer le riche propriétaire de cette banque au dieu Plutus de la co- médie d'Aristophane : tous deux sont des fugitifs, l'un de la France, l'autre de l'Olympe; c'est par suite de la colère du Jupiler-Thémis que la Fortune, sous la forme de la roulette, a établi son trône à Bade. Car le véritable duc de Baden- Baden , ce n'est ni le jeune homme idiot au nom duquel règne un prince badois, ni ce prince lui-même, mais Plutus- Benazet. Toujours, comme dans la comédie d'Aristophane, fous et sages font cortège, c'est à qui tirera le Dieu par son manteau. Quand je dis : sages, est-ce bien le terme? J'ai été stupéfait de voir parmi ceux qui viennent déposer leur offrande sur l'autel, tant de personnages éminents, en ap- parence du moins si respectables, décorés de cheveux si blancs, de tant d'ordres, de rubans et d'étoiles ; ah ! les étoiles, les vraies étoiles, celles qui sont au ciel, elles doivent en rougir !... Le jeu me fait horreur ; chaque fois que je suis entré dans la Maison de conversation, qui est le lieu du monde où l'on cause le moins, en voyant autour des tables de jeu ce cercle de joueurs, de toute condition, de tout âge, et, faut-il le dire? de tout sexe, j'ai frémi. Ils sont là , mornes et impassibles en apparence, le regard hébété fixement attaché au trafic mono- tone de la roue et des cartes ; à peine quelques contractions