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LE DOCTEUR JEAN FAtlSÎ. 441 en lui-même, (car il lui était interdit de parler, ) qu'Alexandre avait une verrue sur la nuque ; je le reconnaîtrais à ce signalement. » Où l'Empereur Charles V avait-il entendu dire cela? je l'ignore. Quoi qu'il en soit, l'ombre sembla lire dans sa pensée ; elle souleva la longue chevelure qui ombrageait son cou, d'une main large et puissante, moins faite pour tenir le sceptre que pour porter la cognée dans les arbres des forêts, et découvrit, par ce mouvement, une grosse verrue précisé- ment à l'endroit où elle devait être, d'après ce que l'Empereur avait entendu dire. Qu'importait au démon une verrue de plus ou de moins, pourvu que l'Empereur fût satisfait ? El il le fut ; car à ce signe, il reconnut Alexandre. Il faut avouer que Méphistophélès avait pris vraiment une singulière forme pour représenter le fils de Jupiter et d'Olympias, le conquérant du monde, l'une des plus belles et des plus chevaleresques figures de l'antiquité, tandis que l'histoire et la tradition nous le dépeignent sous des traits si séduisants, avec une noble stature, un visage fier et doux à la fois, l'haleine parfumée comme celle des dieux, et la tête légèrement inclinée, ce qui ajoutait a sa physionomie un charme plein de mélancolie et de grâce. Gela me prouve deux choses: premièrement, que le diable n'a pas la moindre notion de l'histoire ancienne et qu'il n'a pas lu Plutarque. En effet, s'il l'avait lu, pourquoi n'aurait-il pas suivi les indications de cet historien digne de foi? Secondement, qu'Alexandre était une trop belle proie pour l'enfer, et qu'il a sans doule trouvé grâce devant Dieu, malgré les peccadilles qu'on peut lui reprocher. Car si le démon eût pu le rencontrer dans ses sombres domaines, il se serait assurément empressé de lui en ouvrir les portes un instant, et de le faire apparaître sous ses propres traits, au lieu de prendre pour le représenter une figure si invraisemblable et si peu digne de ce grand homme.