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342 ESTIENNE DU TRONCHET. qui renchérit de beaucoup sur celle de Pétrarque ; il n'imite que ses concetti et, encore, Dieu sait comment. Il fut un de ces hommes qui, pour plaire à la régente Catherine de Médicis, s'efforcèrent de faire disparaître complètement la langue fran- çaise sous un costume à l'italienne. Dix ans avant les fameux Dialogues de Henri Estienne qui flagellèrent avec tant d'esprit et de malice ces locutions d'em- prunt, on se servait déjà d'une foule de mots italiens francisés. On disait déjà scalade, scadrons, fanterie, fantasie , d'où l'on a fait plus tard escalade, escadrons, infanterie, fantaisie; ou bien encore basle pour il suffit, cercher pour chercher, norme pour règle, tueur pour cœur, quelques-uns de ces mots, nés à la cour, étaient déjà passés en usage : on les trouve tous dans les Lettres Missives. Du Tronchet s'appliquait aussi à imiter le langage de l'écolier poitevin dans la bouche duquel maître Alcofribas a mis un discours si bouf- fon: il disait, par exemple, superbie pour orgueil, sagettes pour flèches, les inclites qualitez pour les qualités remarquables, remot pour éloigné, les catènes du Turc, pour les chaînes du Turc, la caligine des obscures ténèbres, pour leur épaisseur, la vilitê pour la bassesse et une infinité d'autres mots tirés du latin, dont il serait beaucoup trop long de donner la nomenclature. Au reste, le langage françois-italianizé était celui de la cour. Ce n'était pas seulement dans les mots qu'il différait de la langue parlée jusque Jà à la ville, dans les provinces et dans les camps ; la contexture des phrases semblait aussi n'avoir rien de commun avec cette dernière. Pendant les dix années qui suivirent la première édition des Lettres Missives, c'est-à -dire de 1568 à 1S78, il y eut parmi les courtisans, une telle fureur d'italianizer, que si cette manie n'eût été, jusqu'à un certain point, circonscrite, si elle se fût répandue avec la même frénésie dans les provinces, c'en était fait peut-être de notre langue. J'ai pris, au hasard, dans le curieux livre de Henri Estienne quelques locutions et quelques mots alors fort à mode, ils suf- firont pour donner une idée de l'extravagance de ce jargon (1). (t) l)eu\ dialogues du nouveau langage françois, italianizé, etc. Genève,