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                  DISCOURS DE M. D ' A I G U E P E I Ã S E .   21 1

suivant le portrait qu'en a tracé Pline le Jeune (1), qui l'avait
connu dans l'intimité, « un homme spirituel, piquant, acerbe,
qui a mis dans ses écrits beaucoup de sel et d'amertume, et
non moins de candeur. » Cette alliance de qualités si diverses
se retrouve, en effet, dans ses Å“uvres. On peut dire de lui
et de Juvénal que leurs ouvrages n'ont pu être écrits qu'au
milieu d'un peuple parvenu au dernier degré de la corruption.
A partir de cette époque, Rome eut encore des versificateurs,
mais, sauf une seule exception que nous signalerons dans un
instant, elle n'eut plus de poètes.
   La philosophie grecque avait été transplantée a Rome par
Ciceron, qui l'y avait pour ainsi dire naturalisée. Après lui,
Sénèque fut le seul Romain qui parut capable de la cultiver
sur ce sol étranger. Cet écrivain, qui a joué un si grand rôle
sous le règne de Néron, contribua fortement à corrompre le
goût de ses contemporains. Sentant bien qu'il ne pourrait ja-
mais lutter avec Ciceron en restant sur le même terrain que
lui, il avait cherché a se frayer une route nouvelle. Le sage
Quintilien (2), tout en lui rendant justice, avait fait de vains
efforts pour mettre ses concitoyens en garde contre la séduc-
tion d'un modèle aussi brillant. L'abus de l'esprit, qui cons-
tituait son principal défaut, fut poussé si loin que Sénèque
lui-même parut modéré en comparaison de ses imitateurs.
   On sait que la philosophie ancienne se partageait en plu-
sieurs branches dont les deux extrêmes étaient le Stoïcisme
et YEpicuréïsme. L'un et l'autre exercèrent, en sens op-
posé, une grande influence sur la civilisation romaine. La
première de ces sectes, qui, dans son enthousiasme pour la
vertu, affectait de faire violence a tous les instincts de l'hu-
manité, comptait parmi ses adeptes, du reste peu nombreux,
tous les hommes d'élite qui, parleurs écrits ou leurs actes,
  (1) Plin. Epistol., 1H, 21.
  (2) Quint. Lib. X, C. 1.