page suivante »
136 DISCOURS DE M, HE1NRICH. perdu sa valeur, dès qu'on ne distingue plus sur les bancs du théâtre l'adversaire qu'il devait frapper. Dante, au con- traire, bien que, dans la longue liste des ennemis qu'il envoie au feu éternel, plus d'un nom soit pour nous obscur ou in- connu, Dante nous saisit toujours par l'inépuisable variété et la terrible grandeur de ses images. D'ailleurs, il fait l'his- toire de sa patrie comme Dieu pourrait la faire au jour du jugement. Passionné pour la justice, c'est le crime qu'il poursuit jusque dans les meilleures causes, et il nous ap- paraît, comme cette furie vengeresse de l'Enéide, délégué par Dieu pour le châtiment des coupables. Exsurgitque facem altoUens, atque intonat ore. Aussi, rien n'est demeuré plus populaire que les scènes de son Enfer, et ce n'est pas seu- lement a cause de l'horreur qui nous pénètre au récit de la mort d'Ugolin, ce n'est pas a cause de l'incomparable mé- lancolie répandue sur l'épisode de Françoise deRimini, c'est parce que Dante a laissé le côté fugitif et passager de l'his- toire pour en dessiner la face éternelle, c'est parce que ses vers ne sont pas seulement le fléau d'un parti, mais les ven- geurs des lois morales. Quel grand spectacle, Messieurs, présente l'Italie au XIIIe et auXIVe siècle ! Tandis que Dante, dans son admirable épopée, crée une langue italienne nerveuse, forte et précise, Pétrar- que, dans ses Canzoni, répand sur elle cette grâce qui en fut depuis le principal caractère. Et ce n'est pas assez de fon- der une littérature nationale, ces deux grands hommes font encore revivre dans leur pays la littérature antique. C'est a cette noble tâche que Pétrarque a voué sa carrière; c'est a ces études qu'il demandait cette gloire que quelques sonnetstombés de sa plume lui ont mieux méritée dans l'avenir. La postérité a eu raison ; ce ne sont pas les vers latins de Pétrarque, ce n'est pas son poème de l'Afrique qui devaient l'immortaliser. Le chantre de Laure a fait oublier l'érudit. Toutefois une saine cri-