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92 EXPOSITION UNIVERSELLE là l'horrible situation d'un peuplefoulé aux pieds et qu'un vainqueur féroce écrase sans miséricorde. Quelle expression implacable dans le visage indifférent du soldat brutal qui repousse tranquillement son sabre dans le fourreau, tandis que son cheval éperonné en- traîne à sa suite le beau corps nu et ensanglanté d'une jeune fille qui se débat dans les tortures de l'agonie ! Quelle énergie dans les contorsions et les efforts de ces affreux damnés qui entourent la barque où Dante et Virgile, conduits par Phlégias, traversent le lac qui entoure la ville infernale de Dite ! Dans cette toile seu- lement M. Delacroix s'est montré pour le dessin à une hauteur qu'il n'a jamais su atteindre depuis. Aussi il est assurément très- regrettable qu'il ait dévié de la route où il paraissait s'engager lorsqu'il peignait en 1822 ce tableau aujourd'hui le plus remar- quable et le plus complet de toute son exposition ; je n'y ai pas trouvé, et je m'en étonne , cette furieuse bataille représentant saint Louis au pont de Taillebourg qu'il a faite pour les galeries de Versailles, elle eût dignement figuré à côté de la Justice de Trajan et de la Prise de Constantinople, deux superbes machines où l'on retrouve en grande partie les effets grandioses des toiles capitales de Rubens, le maitre avec lequel, sauf la correction, bien en- tendu, la personnalité de M. Delacroix offre certainement le plus d'analogie. Comme il ne m'est pas possible d'entreprendre une appréciation détaillée des trente-deux tableaux qu'il a réunis, je ne dirai rien de ses toiles de chevalet, si ce n'est que, cette fois-ci, comme il y a bien des années , ils m'ont paru tout à fait en dehors des conditions essentielles à la peinture traitée dans de petites dimensions; l'absence complète de correction et le dessin tout à fait insuffisant ne peuvent s'y tolérer et ne m'ont jamais sem- blés acceptables, même avec la compensation de la couleur et les artifices d'une composition souvent très-habile. Dès que , pour se rendre compte d'un tableau qui n'excède guère un mètre dans sa plus grande dimension, il faut se placer à quinze pas, sous peine, en se rapprochant de n'y plus rien comprendre, il n'y a plus qu'à se retirer et à laisser la place à de plus clairvoyants ou à de plus fanatiques. J'en ferai autant pour l'Empereur Justiuien composant ses lois, j'aurais trop à en dire si je voulais entrepren- dre de le critiquer, j'aime mieux terminer avec M. Delacroix, en admirant, comme elle le mérite, la Médéc furieuse, de même que ce ravissant intérieur si connu, et qui a pour titre Femmes d'Alger dans leur appartement ; malgré le raccourci absurde que présente le bras d'une de ces femmes, je crois qu'il est difficile de rendre avec plus de charme et de vérité, le spectacle de l'in- térieur d'un harem , c'est je crois la nature prise sur le fait. Malgré cela, M. Delacroix est avant tout un peintre à qui con- viennent surtout les grands travaux de peinture monumentale et de décoration, je n'en veux pour preuve que le plafond exécuté par lui dans la galerie d'Apollon au Louvre et les magnifiques