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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 275 nuagesfloconneuxs'amoncelaient à l'horizon et s'étendaient peu-à -peu sur le ciel. Le tonnerre faisait entendre des gron- dements de plus en plus rapprochés ; et bientôt les célestes réservoirs s'ouvrirent, et des cataractes de pluie inondèrent la vallée. Aussitôt nous attachâmes nos chevaux sous la cor- niche avancée que formait le rocher au-dessus de la grotte, où nous nous précipitâmes , entraînant avec nous notre pa- nier de provisions. Mollement étendus sur nos capotous, nous contemplions avec admiration les effets de l'orage , les buis- sons et les arbustes déracinés par le vent, précipités au fond du ravin , la pluie tombant en cascades par les crevasses des rochers , tandis que , à nos côtés, notre guide étalait un dé- jeûner complet. — Quam juvat immites ventos audire eu- bantem ! ! — C'était bien la plus charmante manière de jouir de l'orage. Déjà les tranches de jambon s'amoindrissaient sensiblement ; déjà les bouteilles gisaient débouchées, quand tout-à -coup... mais permettez-moi de m'interrompre pour vous rassurer contre les inquiétudes que pourraient vous causer cette caverne et la forme dramatique de mon récit. Il y a une influence secrète exercée par les lieux sur les évé- nements de la vie , et la réputation anacréontique des grottes est faite depuis longues années. Les grottes ont été de tout temps les témoins discrets d'aventures semblables à celle d'Enée et de Didon, et l'orage, qui grondait alors sur nos tê- tes, est un rapprochement aggravant. Mais, soyez sans inquié- tude , celles de Bonorve n'ont rien encore à se reprocher en ce genre , du moins à ma connaissance. Donc, la tôle légè- rement échauffée par de copieuses libations, le verre à la main , le cigarre aux dents , nous entonnâmes une joyeuse chanson , souvenir de notre vie d'étudiants retrouvé au fond de notre verre. Au moment où nous nous arrêtions pour re- prendre ensemble le couplet , une voix retentissante venant du dehors entonna le refrain connu : Les bons amis ne sont