page suivante »
276 LETTRES SUR LA SARDA1GNE. pas si fous, — que de se quitter sans boire un coup ! Un éclair étincela , le tonnerre gronda , et après s'être fait ainsi annoncer , un jeune homme entra dans la caverne. C'était un compatriote qui nous tombait du ciel. Alors nous nous mîmes à causer et à rire tous trois,comme d'anciens amis qui se retrouveraient après une longue absence. Trois Français , à -peu-près du même âge , venant de pays opposés, se ren- contrer , si loin du sol natal , dans ces roches inaccessibles ! c'était un hasard incompréhensible , une galanterie de la Providence, que nous célébrâmes par un second déjeûner, par de nouveauxflacons, par des chansons et des folies. Peu-à -peu l'orage se dissipa. Nous reprîmes tous trois le chemin de Bonorve , traversant les ravins inondés, les prai- ries plus ardentes , où couraient encore de grandes ombres projetées par un nuage transparent, et respirant ces parfums pénétrants, que le soleil fait jaillir de la terre après la pluie. À moitié chemin , le dernier venu nous quitta ; il allait acheter des armes arabes à la fabrique de Tempio. Je passai quelques heures encore avec le jeune ingénieur , et le soir, je lui dis adieu , sans doute pour toujours. Ce sont ces ren- contres qui font le bonheur et la tristesse de la vie voyageuse. Le hasard vous jette sur la même roule , quelques paroles échangées éveillent de mutuelles sympathies : un jour entier l'on vit comme de vieux amis, et le lendemain Ton se quitte pour ne plus jamais se revoir ; c'est là une image frappante de l'instabilité de la vie de l'homme sur la terre. Au reste , il vaut peut-être mieux que les choses se passent ainsi : car, dans celte vie, il ne faudrait jamais , je crois , revoir les hommes comme les lieux qu'on a vus avec plaisir une pre- mière fois. Madame Antonia m'avait préparé une chambre pour la nuit avec un soin tout maternel ; le soir nous causâmes long- temps ensemble de sa vie passée, l'avenir n'existait plus pour