page suivante »
DE LA FRANCE. 449
peut-être plus encore aux savants dont la pensée a surtout
besoin de formules claires et précises. Les sciences qui se
sont partagé le grand domaine de la nature, n'y considèrent
chacune qu'un point de vue déterminé, laissant aux poètes
le soin d'y contempler la vie dans son ensemble, les sciences
vivant par la définition, par la précision de leurs formules
abstraites. Or, la puissance de définir est une des aptitudes
les plus marquées de notre langue. Ce positivisme et cette
clarté la rendent précieuse pour la controverse, quelles que
soient les questions qui s'agitent, mais d'une manière spéciale
pourtant, si ce sont des questions pratiques; car l'action et le
mouvement lui ont été donnés en même temps que la clarté.
La discussion politique trouve en elle un organe souple et
puissant, un organe qui se fait entendre jusqu'aux extrémités
les plus lointaines des sociétés ; la diplomatie l'a adopté sans
contrainte comme l'idiome naturel des grands intérêts poli-
tiques; l'histoire enfin à qui la clarté philosophique et le
mouvement oratoire sont également nécessaires, trouvera
dans cette langue le plus logique et le plus éloquent des
interprêtes.
Une chose nous frappe, en effet, quand nous étudions le
passé littéraire de notre pays; c'est le nombre et l'importance
des prosateurs et leur supériorité relative sur les écrivains en
vers. Les noms les plus influents, les plus incontestés, ceux
qui aux yeux de l'Europe représentent le mieux la pensée
française, tous ces noms appartiennent a la prose. La pré-
dominance des prosateurs devient surtout manifeste au mo-
ment où l'esprit français exerce sur le monde son action la
plus puissante, où l'universalité de notre littérature est le
mieux reconnue, au XVIIIe siècle. La poésie des deux siècles
classiques donne au premier rang quatre noms : Corneille,
Kacine, Molière, Lafonlaine ; quelle imposante majorité en
faveur de la prose ! Descartes, Malebranche, Pascal, Bossuet,
29