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ET PAUL-LOUIS COURIER. 281 laire ! Si la censure, s'évertuant en vain contre la pensée, bâillonnait toutes les bouches et ne permettait plus qu'une publicité illusoire, il restait la presse clandestine, les vers manuscrits ; — on lisait en cachette, on se passait mystérieu- sement ces petits trésors, on s'enivrait en retrouvant écrit ce que chacun portait au fond de sa pensée; les uns apprenaient par cœur, les autres faisaient des copies : le secret, le danger rendaient les mémoires plus sûres et les mains plus promptes. Au bout de huit jours, toute la France savait ce que les cen- seurs ignoraient seuls.— Qui peut dire le résultat de ces luttes acharnées et les échecs qu'en a reçu le gouvernement de la Restauration ? Que de griefs, que de rancunes assoupies de- vaient se réveiller à l'accent de ces deux voix! que de som- bres indignations, quand l'un rappelait les gloires oubliées ou abaissées de la France, quand l'autre mettait au grand jour les tyrannies de détail et la mesquine oppression d'un gouvernement qui surveillait tout, parcequ'il avait peur de tout? Venu au monde après Courier, Béranger débute le premier dans la carrière politique, par la chanson intitulée : Ma der- nière Chanson, peut-être, et sous la date du 1er janvier 1814, il entre le premier dans cette voie glorieuse où tous deux prirent à l'envi la défense des victimes contre les persécuteurs. Béranger n'attend pas l'oppression pour la maudire, il la pré- voit : on annonce nos défaites, l'étranger met le pied sur le sol de la France, et sa gaîté est déjà moins franche, une note grave a résonné au milieu des chants pleins d'abandon de sa jeunesse; le chansonnier rit encore pour obéir à sa nature, mais le Français s'écrie du fond du cœur : Amis, s'il n'est plus d'espérance, Jurons , au risque du trépas, Que pour l'ennemi de la Fiance Nos voix ne résonneront pas.