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280 BÉRANGER Il faut le dire, peut-être même y a-t-il eu chez Béranger, plus que chez Courier, un dessein fermement arrêté de rester libre au milieu des partis : ce fut chez lui l'œuvre d'une noble et persévérante volonté, qui a duré, qui dure encore et ne s'est jamais démentie; tandisque les circonstances ont peut- être donné au pamphlétaire cette admirable position dont il a si habilement profité. Mais à quoi bon abaisser l'un pour élever l'autre, en son- dant ces secrets abîmes de l'intention connus de Dieu seul ? — N'ont-ils pas rendu des services également grands ; et Courier, après avoir franchement embrassé la cause de la liberté, ne l'a-t-il pas défendue jusqu'à sa mort, acceptée encore pour elle? Appelés tous deux à jouer à peu près le même rôle dans la politique, sans avoir pris aucun parti, sans s'être rangés sous aucun drapeau, guidés par un amour profond de la patrie et une haine vigoureuse des oppresseurs, ils eurent une influence immense dans les affaires du temps. Mais aussi il ne se commettait pas une violence, il ne se glissait pas un abus que ne poursuivît quelque infatigable re- frain du chansonnier, ou quelque supplique ironiquement soumise du pamphlétaire. Les efforts du pouvoir étaient vains. Emprisonnait-on Béranger ? sa verve s'accroissait sous les ver- roux . — le moindre rayon de soleil à travers les barreaux faisait trouver au poète un chant de tristesse et une malédic- tion partout répétés contre ceux qui lui enlevaient sa chère liberté. — Condamnait-on Courier? il occupait les loisirs de la prison à se remémorer son procès, à raconter, en style digne des Provinciales, ce qu'étaient ses juges, ce qu'il leur avait dit et pourquoi ils l'avaient condamné. — Combien ces inces- santes révélations, ces mordantes moqueries troublaient les persécuteurs et vengeaient les opprimés ! avec quelle ardeur on lisait ces poétiques manifestes, échos de l'opinion popu-